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partage des pentes, des eaux jaillissent des rochers ; plus bas, la route coupe un marécage plein de joncs. Une vallée assez large, mais qui se resserre vers le sud, déroule de vastes champs d’orge au milieu desquels d’assez gros villages apparaissent comme des îles ; les deux divisions Nechat et Hadji Haïri s’emparent des plus rapprochés sans essuyer de pertes ; et, comme leurs tirailleurs sont cachés par les orges déjà grandes, on ne distingue leurs progrès qu’à l’incendie d’une grange ou d’une maison, qui dresse une colonne de fumée dans la plaine encore endormie. Un peu plus tard des coups de feu éclatent, mais ils sont maigres, secs, à peine plus nombreux que dans les chaumes de nos pays un jour d’ouverture de chasse. Tout cela n’est guère qu’entreprises d’avant-postes. Du côté de Sioba, les Grecs essayent quelques feux de salve, puis nous voyons leurs cavaliers qui s’enfuient au galop. Mon cavalier israélite s’anime, il me déclare qu’il veut se battre, et m’abandonne. Le jugement général est qu’au contraire la fusillade l’a trop ému, et qu’il cherche un abri tutélaire. C’est une calomnie, je l’ai su plus tard : cet écervelé a passé toute la journée à galoper comme un fou et sans utilité, aux avant-postes, au risque de se faire tuer. Mais allez donc lutter contre un préjugé de race : il n’arrivera jamais à convaincre personne de sa bravoure ! Malheureusement son départ est un désastre pour moi. Je venais justement de mettre pied à terre, mon cheval a suivi son camarade, et je reste dans la situation ridicule d’un cavalier mis à pied. Très aimablement, un colonel d’artillerie fait courir après la bête, qui me revient avec une bride cassée, et, — ce qui est irréparable, — débarrassée du sac ou j’avais enfoui mes provisions.

Cependant la bataille se dessine. Les éclaireurs grecs se retirent au galop, les Turcs se rapprochent du cirque de hautes collines qui ferme la vallée, et la canonnade commence. Un mamelon rocheux, sorte de témoin d’érosion resté debout au milieu de la plaine, nous sert de point de repère. La division Nechat se dirige sur lui tandis que celle d’Hadji Haïri s’éloigne sur la droite. Nous distinguons alors les positions de Domokos : une petite ville campée tout en haut d’une montagne, défendue par un fort. Des sortes de faubourgs descendent jusqu’à mi-côte, où des retranchemens de terre, fort bien placés, sont garnis de défenseurs ; des coteaux boisés forment bastion. L’artillerie grecque est là, et, comme quelques batteries turques suivent la route, elle ouvre le feu sur celles-ci. Un obus tombe à quelques pas de