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leur horizon était restreint ; elles se contentaient des maigres jouissances traditionnelles et se résignaient aux privations habituelles. Le sentiment de la famille, moins tendre et moins affectueux qu’à l’heure présente, ne s’imprégnait pas d’ambition ; on n’avait pas l’espoir, par conséquent guère le désir, pour ses enfans, d’une destinée meilleure et surtout plus brillante que la sienne. Ces dispositions mentales détournaient de la prévoyance et du calcul. On affrontait, sans les mesurer ni s’en inquiéter, les charges familiales ; celles-ci, on l’a vu, se tournaient même en bénéfices par l’emploi rémunéré des enfans et des adolescens.

S’il survenait des malheurs, — la perte du chef de famille, des infirmités, des chômages, — un système d’assistance, d’une générosité naïve et imprudente, fournissait au misérable l’indispensable, quelquefois davantage. La célèbre loi des pauvres, Poor law, avant la réforme de 1832, poussait, elle aussi, à la prolificité. « L’allocation pour chaque enfant additionnel était si élevée proportionnellement à celle des adultes, dit un écrivain anglais contemporain, que plus un homme avait d’enfans, meilleure était sa condition, et ainsi l’on encourageait l’accroissement rapide d’une population de pauvres ; l’allocation pour les enfans illégitimes dépassait même celle des enfans légitimes[1]. »

Toutes les influences, aussi bien externes qu’internes, sollicitaient à la prolificité. Une autre cause encore y contribuait et continue encore d’agir, quoique à un degré qui s’est beaucoup affaibli depuis vingt ans : les facilités ouvertes à l’émigration par les progrès de la navigation, par les secours aux émigrans qu’allouaient certaines colonies, et le sort relativement heureux de la plupart des colons. Cette cause influa grandement, pendant de nombreuses années, non seulement sur la classe populaire, mais sur la classe moyenne et commerçante. Le débouché offert par les États-Unis et par les colonies britanniques aux enfans des familles aisées comme à ceux des familles ouvrières était plus ample et plus assuré dans les trois premiers quarts de ce siècle qu’il ne l’est aujourd’hui et surtout qu’il ne l’était auparavant. Un ingénieur, un contremaître, un commerçant, de même qu’un cultivateur et un ouvrier, étaient plus sûrs alors de se faire une place et une situation dans les contrées lointaines, de climat et de milieu social à peu près analogues à ceux de la mère patrie.

  1. Nicholls, cité par Walker, Political Economy, p. 421 et 422.