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plusieurs ne retrouveront qu’après un mois de vie errante. Quant aux paysans de Basilicate, ils assistent d’ordinaire à la fête de saint Nicolas, avant de s’engager sur la route de Gargano ; mais avant tout ils ont pris soin, le premier dimanche de mai, de visiter le sanctuaire le plus célèbre de leur province, Santa-Maria di Pierno. C’était une abbaye élevée au XIIe siècle, près d’Atella, par saint Guillaume de Verceil, le fondateur de Monte-Vergine ; c’est aujourd’hui une chapelle ancienne et misérable, au sommet d’une colline, dans un grand bois de châtaigniers. Devant la porte, les hommes du voisinage, qui comme tant d’autres sont partis vers les Amériques et qui en ont rapporté un petit pécule, ont élevé un clocher de brique à demi recouvert de plaques de marbre : chacune représente un don de cent francs et porte le nom d’un « Américain ». Le pèlerinage de Pierno attire trois fois dans l’année un grand concours de peuple, et l’on y vient même de la Puglia piana ; mais il y a dans les Abruzzes d’autres sanctuaires aussi fréquentés, comme celui de Casalbordino, dont Gabriel d’Annunzio a décrit si fortement dans le Triomphe de la Mort les pèlerins sauvages. Si je me souviens avec prédilection de la petite église perdue au fond de la Basilicate, ce n’est pas seulement parce qu’elle est placée au centre le plus inaccessible de l’ancien royaume de Naples, dans l’ancienne citadelle des brigands, dont le mont Vulture était comme le donjon : c’est parce que le pèlerinage de Pierno a eu la fortune de trouver un poète.

Sans doute, quand un vieillard de Rionero in Vulture faisait imprimer en 1891 la canlilène qu’il avait mis trente ans à composer, il ne pensait guère que sa feuille volante, achetée un sou par quelque jeune pèlerin qui sait épeler, serait précieusement gardée par un « professeur » de la ville. Et pourtant cette prière est une chose très rare, un document populaire qui n’a pas été traduit par un lettré. Le vieil aède nous a dit son nom :


C’est Tirico di Gerardo Raffaele
Qui a été dévot à dire l’oraison…
… Il ne savait pas écrire, le bon Raffaele.
Le Seigneur lui a donné le sentiment ;
Il a prié le soleil, la lune et les étoiles,
Pour composer l’histoire de la petite Vierge.

Je me suis adressé (dit-il) à bien des gens.
Personne n’a voulu écrire cette poésie,
Mais enfin j’ai trouvé un jeune homme capable,
Le fils de Vito, Rocco di Pace.