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des colons ou des pirates d’autrefois, Grecs ou Albanais, Espagnols ou Arabes. Mais au cœur des Abruzzes, dans les hauts villages au pied desquels roule la diligence de Sulmona à Gastel di Sangro, on voit passer en vérité les filles des autochtones contemporains des premiers jours de Rome.

Les formes des maisons ne reproduisent pas aussi purement que les costumes de leurs habitans des types anciens. Elles ne semblent vieilles que parce qu’elles sont enfumées et déjetées ; leur misère est informe et les murs décrépits n’ont pas la fierté des femmes en haillons. Pourtant on peut découvrir dans quelques régions des séries d’habitations creusées ou élevées suivant des traditions séculaires. J’ai vu en terre d’Otrante des bourgs de troglodytes, comme Massafrà. A quelques pas des dernières caves creusées dans la gravine et qui n’ont d’une maison que la porte et la cheminée, il y a de vieilles grottes qui étaient autrefois des chapelles ; sur les parois salpêtrées de ces cryptes on distingue des figures à demi effacées de saints byzantins. La chapelle ancienne explique le village d’aujourd’hui. Les moines basiliens venus d’Orient, il y a dix siècles, lors de la conquête et de l’immigration byzantines, reprirent dans la terre d’Otrante leur vie d’ermites ; chaque communauté se creusa dans un ravin un petit oratoire et des cellules de Thébaïde, et maintenant, les paysans ne font que reproduire à leur usage les laures des anachorètes orientaux. Au contraire, on bâtit encore dans toute une vaste province des constructions rustiques, de forme extraordinaire, dont les modèles se perdent dans la plus haute antiquité. Ce sont les trulli, dont la plaine de Pouille est toute bossuée. Dans les champs d’oliviers et de vignes, on aperçoit un petit cône de pierres sèches, puis un autre, puis des centaines, parmi les oliviers gris, et qui attristent encore par leur uniformité la monotonie de la plaine. Si vous approchez de l’un d’eux, vous voyez dans cet amas de pierres une porte, et si vous vous baissez sous cette porte, vous apercevez une coupole. Ces petits trulli sont des abris pour les instrumens de travail et, au besoin, pour les cultivateurs. Mais il y en a d’autres, de très grands et de très compliqués, qui servent d’habitation à des familles nombreuses. Les plus curieux se trouvent entre Bari et Brindisi., et, pour préciser davantage, entre Noci et Fasano. Bruts ou crépis de blanc, ils sont boursouflés de coupoles inégales, huit ou dix parfois, dont chacune correspond à une chambre distincte. Les