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SUR LES CHEMINS DES PÊLERINS
ET DES ÉMIGRANS

Il y a trente-cinq ans, cette moitié de l’Italie, plaine ou montagne, était aux brigands. Un propriétaire de Melfi ou de Potenza ne pouvait aller régler une affaire à Naples sans un escadron de cinquante compagnons bien armés ; un employé de grande compagnie, pour porter une somme d’argent d’un bout à l’autre du lac Fucin, se déguisait en moine mendiant ; et l’Anglais, à qui venait la fantaisie de pousser jusqu’à Pæstum, y risquait ses oreilles. Aujourd’hui la forêt de la Sila est plus sûre que la campagne de Rome : « Vous pouvez, me disait un paysan calabrais, aller de Cosenza à Reggio par la montagne, votre bourse à la main : personne ne songera à vous la prendre. » Pourtant, si les Abruzzes, la Basilicate ou les Calabres ont perdu l’attrait du danger, les aventureux y trouveront, bien des années encore, l’imprévu des chemins difficiles, la saveur des paysages inédits, et par-dessus tout, le charme candide et sévère des peuples arriérés. Malgré la sécurité des routes et l’amélioration des transports, ni touristes, ni chercheurs, ne se détournent vers ces provinces très riches en beautés naturelles et en noms historiques ; si bien que le pays garde son caractère et les hommes leurs mœurs d’autrefois, et qu’à peine sorti de quelques villes neuves, on remonte à des siècles en arrière. Le spectacle est plein de surprises et d’enseignemens. Pour moi, je m’étais engagé, il y a quatre ans, dans l’Italie méridionale afin d’y rechercher et d’y relever les monumens précieux et peu connus de l’art du moyen âge. Mais, au cours d’une exploration qui devait s’étendre aux régions les plus oubliées et les moins accessibles, j’ai tant vu sur ma route que j’ai dû