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— « Vous ne m’aimez pas ! Vous attendez que je vous dise : « La comédienne est la même que la religieuse ; » vous cherchez un drame, voilà tout, et le dénouement vous échappe. Allez, je ne vous crois plus ! »

« Cette parole fut un éclair. Ces enthousiasmes bizarres que j’avais ressentis si longtemps, ces rêves, ces pleurs, ces désespoirs et ces tendresses… ce n’était donc pas l’amour ? Mais où donc est-il ? » Mlle Colon se chargea de la réponse à cette dernière question. Le régisseur de la troupe — un ancien jeune premier tout ridé — lui était dévoué et le lui prouvait de mille manières. Elle dit à Gérard : — « Celui qui m’aime, le voilà ! »

A qui tout manque, la chimère reste encore. Sylvie était gantière, Adrienne cabotine, et Gérard de Nerval s’écriait douloureusement : — « Ermenonville ! pays où fleurissait encore l’idylle antique, — traduite une seconde fois d’après Gessner ! tu as perdu ta seule étoile, qui chatoyait pour moi d’un double éclat. Tour à tour bleue et rose comme l’astre trompeur d’Aldebaran, c’était Adrienne ou Sylvie, — c’étaient les deux moitiés d’un seul amour. L’une était l’idéal sublime, l’autre la douce réalité. » Les perdant à la fois, il voulut les remplacer à la fois, et c’est ici que la folie gagne à vue d’œil. Il s’était résigné à se ruiner en réclames pour Jenny Colon, comme le premier venu des soupirans, » mais il ne se résignait point à ne pas lui rendre le recul et la fluidité qui conviennent à une « vaine image » et que celle belle personne avait perdus dans des expériences malheureuses. Il se mit donc en devoir de lui restituer son aspect de figure extra-terrestre et lointaine. Ayant ébauché une pièce, jamais terminée, où Mlle Colon devait jouer le rôle de la reine de Saba, Gérard de Nerval, dans l’ardeur de son désir, finit par confondre en esprit le modèle et la copie. Puisque Jenny n’était plus Adrienne, il fallait absolument qu’elle fût autre chose que cette réalité hideuse, une actrice fardée, et elle le fut : « ELLE m’apparaissait radieuse, comme au jour où Salomon l’admira s’avançant vers lui dans les splendeurs pourprées du matin. Elle venait me proposer l’éternelle énigme que le Sage ne put résoudre, et ses yeux, que la malice animait plus que l’amour, tempéraient seuls la majesté de son visage oriental. Qu’elle était belle ! non pas plus belle cependant qu’une autre reine du matin dont l’image tourmentait mes journées. » La reine de Saba lui devint présente ; il dépendit de lui de toucher et de saisir « le fantôme éclatant de la fille des