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de gaucheries ou d’illogismes, les conséquences de la théorie luthérienne, rendit un vrai service à l’humanité. Elle y fut aidée par deux influences fort diverses : celle du piétisme, qui, répudiant les idées de Luther sur la justification, affirmait le mérite des bonnes œuvres ; et celle de la philosophie rationaliste, qui érigeait fort au-dessus du texte de Luther les intérêts de la philanthropie : Oberlin, le pasteur d’Alsace dont l’exemple suscita, dès le XVIIIe siècle, certaines initiatives en Allemagne, était, tout à la fois, un mystique et un rationaliste. La fondation et les progrès de la Mission Intérieure entre 1840 et 1880 furent la récompense et le couronnement de ce subtil travail théologique.

On montre encore, aux environs de Hambourg, dans les vastes établissemens de Horn, où la Mission Intérieure a son centre, la maisonnette, où, vers 1833, Wichern recueillit quelques enfans délaissés et l’arbre sous lequel il les instruisait. Les idées d’apostolat étaient comme la sève de son âme ; mais il commençait bien petitement, pour finir grandement. En général, chez les fondateurs d’œuvres protestantes, la mesquinerie apparente des débuts ne provoque aucun sentiment d’angoisse ou d’aigreur. En invitant les consciences de ses fidèles à prendre contact avec l’au-delà d’une façon immédiate et active, la Réforme développe, parmi la petite aristocratie d’âmes religieuses qui sont capables de cette spontanéité, un esprit d’initiative et une allégresse de courage qui leur sont ensuite un merveilleux soutien parmi les aspérités de l’action. Entouré de bambins vicieux qui l’appelaient leur « père », Wichern songeait aux tristes conditions morales et sociales de l’Allemagne, et à la nécessité de créer une « Mission Intérieure » pour apporter un remède à la sauvagerie (Verwilderung), fruit commun de l’ivrognerie, du vice et de la misère.

Faire le bien avec l’Evangile et pour l’Évangile : ainsi pouvait-on définir le programme de cette Mission. La propagande chrétienne s’y présentait à titre de remède, et les remèdes qu’elle tenait en réserve pour toutes sortes de misères devaient être une préface de cette propagande. « On peut concevoir une communauté, écrivait Wichern, dans laquelle les riches et les gens éclairés seraient l’unique terrain choisi par la Mission intérieure parce qu’ils seraient les pauvres de Dieu, tandis que les pauvres, riches de Dieu, seraient les missionnaires. » En fait, ce beau rêve, en vertu duquel les riches auraient été les obligés, et les pauvres les bienfaiteurs, n’a point dépassé les écrits de Wichern ; il