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triangle dont les sommets sont Vienne, Prague et Budapest. D’où la conséquence légitime qu’en traitant de l’évolution ou des révolutions intérieures de l’Autriche-Hongrie, c’est après tout, c’est avant tout une question internationale, européenne, et, pour une part, française que nous allons traiter.


I

L’idée la plus claire que l’on rapporte d’un voyage d’études en Autriche est, sans paradoxe, qu’il n’y a pas d’Autriche. « Ce n’est qu’une expression géographique », a-t-on dit jadis, en une phrase célèbre, alors que l’Autriche avait encore une apparence d’unité ; non pas même ; ce n’est qu’une expression diplomatique, une formule du protocole européen, et la géographie, à l’écrire comme la font la nature et la vie, se refuse à connaître une Autriche. Il y a bien eu dans l’histoire, et toute-puissante pendant plusieurs siècles, une Maison d’Autriche ; il y a eu un archiduché, formé de deux duchés, qui portait ce nom. Il y a, dans le droit public de l’Europe, depuis 1804, un État qui a commencé par prendre le titre d’empire d’Autriche et qui, en 1867, a dédoublé ce titre on celui de monarchie austro-hongroise. Mais d’Autriche, dans le sens où l’on dit la France, ou l’Espagne, ou l’Italie, ou la Russie, ou l’Empire allemand même, il n’y en a pas.

Ce n’est point, on ne le répétera jamais trop, une nation, mais une mosaïque de peuples ; ce n’est point un État, mais un assemblage d’États, qui sont l’un à l’autre comme les pièces d’un « jeu de patience ». Les grands hasards qui font l’histoire ont ici réuni sur des territoires contigus et, à la longue, sous le même sceptre des races, des langues, des religions. Et c’est ainsi sans doute que l’histoire procède partout : il n’y a pas de nation de pur sang, j’entends qu’il n’y a pas de nation d’un seul sang. Là même où l’unité semble tout à fait achevée, où l’on ne distingue plus les soudures, il est rare, presque sans exemple, que cette unité soit complète et originelle. Quelle nation plus unie, plus une, que la France ? et pourtant que de populations et d’idiomes mêlés dans l’unité de la France ! Mais au feu intense de la forge et sous la dure main des rois qui en furent les artisans, toutes ces races, Bretons, Normands, Gascons, Provençaux, Francs-Comtois, dans la suite des temps, sont allées se fondre, s’allier et couler ensemble l’indivisible métal. En Allemagne, en Italie, une