Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 143.djvu/778

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Durant ces trente dernières années, la question qui a le plus troublé la monarchie, c’est la question tchèque. C’est la revendication par les Tchèques des « droits historiques » de la couronne de Bohême ; « droits » qui, en leur expression suprême, comporteraient la pleine autonomie, l’indépendance de cette couronne, au même titre que la couronne de Hongrie, vis-à-vis de la couronne impériale d’Autriche. Si ces revendications seront admises ou s’imposeront, et jusqu’où, personne encore ne peut le dire ; mais, en tout cas, il paraît bien que l’hypothèse n’en doive pas être écartée comme invraisemblable. Supposons donc que les Tchèques triomphent, que la Bohême, reconnue autonome et indépendante, négocie avec l’Autriche, réduite — ou peu s’en faut — à ses parties allemandes, un Compromis calqué sur le Compromis austro-hongrois, et qu’un régime à trois se substitue au régime à deux ; l’Autriche-Hongrie-Bohême sera-t-elle ce qu’était l’Autriche-Hongrie ? C’est-à-dire, pour nous : sera-t-elle la même comme élément de l’équilibre européen, et comme facteur de la politique générale de l’Europe ?

Supposons que cette transformation se produise, ce ne sera pas sans que les puissances voisines, l’Allemagne, par exemple, en soient d’assez près affectées. La Prusse a eu beau, quand elle a fait l’Allemagne, en rejeter l’Autriche : de tout temps, aux yeux de tout le monde, de l’Allemagne plus que de personne, l’Autriche a passé pour un État allemand. Peut-être, à la voir sous ce jour ne la voyait-on que du dehors et de loin ; le jugement était un peu sommaire, mais il n’était pas absolument sans motifs ; il en avait un, spécieux et même sérieux, dans ce fait que la race allemande, la langue allemande, la « culture » allemande, la politique allemande avaient jusqu’alors, en Autriche, prédominé, sinon sans protestation, pour ainsi dire sans partage. Chassée de l’Allemagne, l’Autriche restait un État d’influence allemande et, si l’on enlève au mot ce qu’il pourrait avoir de blessant par l’idée d’infériorité qui s’y attache, comme une sorte de hinterland, d’arrière-pays allemand, ou d’Allemagne « hors les murs ».

Eh bien, croit-on que ces Allemands d’Autriche, qui à eux seuls détenaient le pouvoir, qui à eux seuls fournissaient à l’Autriche son personnel de gouvernement, dont la langue était sa seule langue officielle, la « culture » sa culture privilégiée, et la politique sa politique dirigeante, croit-on que, par les Tchèques ou par toute autre nationalité d’Autriche non allemande, ils se