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achevés, élémens connus et constans, il y a, en effet, un État qu’on ne connaît pas et qui ne se connaît point lui-même ; qui se défait et se refait, qui se cherche sans s’être jusqu’ici trouvé. Entre des États, fixes et consolidés, qui sont, il y a un État qui mue et qui devient ; et cela peut suffire à ruiner les plus ingénieuses combinaisons. D’autant plus que cet État en mue, ou plutôt ce mobile assemblage de royaumes et de pays, par ses conditions ethnographiques, non moins que par sa situation géographique, est, au centre de l’Europe, dans une position telle que, son axe politique se déplaçant, il ne serait pas impossible que l’axe politique de l’Europe en fût, du même coup, déplacé.

C’est de l’Autriche que nous parlons ; de ce qu’on appelle l’Autriche dans le langage courant et l’Autriche-Hongrie dans le style officiel ; de ce qui est, en réalité, l’Autriche et la Hongrie, et plus véritablement encore, confondues malgré elles sous ces noms d’empire d’Autriche et de royaume de Hongrie, des provinces dont quelques-unes se souviennent d’avoir été, plusieurs autres rêvent d’être des États non autrichiens, non hongrois, et bien peu se résignent au rôle subordonné de provinces autrichiennes ou hongroises. Comment nier qu’un assemblage d’États, à ce point travaillé et tiraillé en sens divers, ne soit qu’incertitude et instabilité ? Comment prétendre que la monarchie austro-hongroise, hier simplement autrichienne, aujourd’hui autrichienne et hongroise, demain autrichienne, hongroise et, sans doute quelque autre chose de plus, a dès maintenant, étant ce qu’elle est, son assiette définitive ?

A ne considérer d’abord que le passé, l’Autriche de 1848 est-elle la même que l’Autriche de 1860 ; et celle-ci, la même que l’Autriche-Hongrie de 1867 ? Je ne dis pas dans sa forme extérieure : d’autres Etals, à la suite de guerres heureuses ou malheureuses, ont subi des augmentations ou des diminutions de territoire qui les ont modifiés, autant et davantage, extérieurement, dans leur forme, mais ils sont demeurés spécifiquement les mêmes ; l’Autriche, non : et, même ne changeant pas extérieurement, dans sa forme, sous l’action de causes étrangères, elle a changé au dedans, sous la pression de forces intérieures jamais au repos. Pendant les trente années de paix où s’est cicatrisée sa blessure de Sadowa, elle a été en continue et incessante évolution ; et l’Autriche-Hongrie de 1897 n’est plus spécifiquement la même que l’Autriche-Hongrie de 1867.