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Un soldat comme moi ne doit pas raisonner… » Il évoquait alors la belle carrière de Bazaine, ses actions d’éclat, son impassible bravoure. Mais une ombre louche pesait sur son insomnie. Il songeait à l’inexplicable retour à Metz, après Rezonville et Saint-Privat, à la dépêche du 23, à Charlys, à la journée de Grimont. Si c’était vrai, pourtant !… trahir ? Non ? mais louvoyer, tergiverser, obéir aux conseils d’une prudence intéressée, aux calculs d’une ambition sourde ?… Tenir campagne offrait des risques ; Metz au contraire était un appui sûr. Vainqueur, Mac-Mahon débloquerait son collègue, — ou son rival, — sans que celui-ci se fût exposé ; vaincu, de quel secours Bazaine lui serait-il ?… Paris sans doute ne tiendrait pas longtemps… alors, en cas de négociations, l’armée de Metz, intacte, vaudrait que l’ennemi comptât avec elle, avec son chef… « Allons, pensa-t-il, je divague, j’ai la fièvre !… » Il pensa à son père. Que lui conseillerait le vieillard, au nom d’un passé d’honneur, sinon de repousser toute lâche supposition ? Allait-il discuter comme un Francastel, un Massoli ? Non, comme Restaud, il devait exécuter. Et Du Breuil, appelant un peu de repos, se mura les yeux, les oreilles, les lèvres, se raidit dans les ténèbres.

Il se réveilla plus calme. Un nouvel émissaire, Macherez, arrivé de Verdun dans la matinée, apportait au quartier général une dépêche chiffrée. Jarras immédiatement le conduisit chez le maréchal ; Du Breuil assista à leur sortie. Jarras ravi disait à un colonel d’artillerie : « Nous avons d’excellentes nouvelles ! Comme nous allons les schlaguer ! » Et il agitait le bras, semblant manier un fouet. Le colonel répondait : « Oui, d’excellentes nouvelles, des nouvelles qui valent un corps d’armée ! » C’était bien une dépêche de Mac-Mahon. L’armée de Châlons devait aujourd’hui 30 se trouver à une vingtaine de lieues, à 15 peut-être de Metz ! Une allégresse s’emparait de tous. Du Breuil contemplait l’émissaire avec une sorte d’admiration attendrie. Son espoir et sa confiance étaient revenus du coup.

Les ordres ! Donnés au matin, par le télégraphe qui reliait depuis deux jours les commandans de corps d’armée au Ban Saint-Martin, contremandés, puis réexpédiés le soir, ils renouvelaient, à quelques modifications près, ceux du 25. Il semblait que la journée de Grimont eût été la « répétition générale » de la grande attaque. Elle se prononcerait sur Sainte-Barbe par les mêmes mouvemens combinés : le 3e corps se portant par Noisse-