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quelconque du globe, sans en conclure aussitôt que nous devons désormais leur abandonner toute la vallée du Nil. Mais autant ils s’appliquent à mêler l’Égypte à toutes les affaires qu’ils ont avec nous, autant nous nous appliquons à l’en distinguer, à la mettre et à la tenir à part. La question intéresse d’ailleurs l’Europe entière et, quand même nous le voudrions, nous n’aurions pas le droit de la trancher à nous tout seuls. L’Angleterre est allée en Égypte en promettant d’en sortir ; et puisque, à propos de la Tunisie, elle juge convenable de parler de l’Égypte, on nous permettra de dire qu’en Tunisie nous avons rempli avec une ponctualité exemplaire tous les engagemens que nous avions pris. Nous n’avions pas pris celui d’en sortir, loin de là ! Et s’il fallait remonter aux origines historiques de notre occupation de la Régence, nous rappellerions qu’elles datent du congrès de Berlin. À cette époque l’Angleterre venait de s’emparer de Chypre. Ce coup hardi et imprévu avait ému l’Europe, ou du moins certaines puissances en Europe, et la France, grande puissance méditerranéenne, était du nombre. Un échange de vues dont les résultats ont été ensuite consignés par écrit, — non sans quelques réticences de la part de l’Angleterre, mais avec une clarté suffisante pour que nous ayons le droit de les invoquer, — nous avait laissé notre liberté en Tunisie en échange de celle que l’Angleterre s’était si cavalièrement octroyée en Chypre. Nous ne devons donc rien à personne au sujet de la Tunisie, et à l’Angleterre moins qu’à personne. Nous y sommes allés avec son consentement. A chaque pas que nous y avons fait, et jusqu’à ces derniers jours, nous nous sommes encore assurés de ce consentement, et elle ne nous l’a jamais donné gratis. Ce n’est pas un reproche que nous lui adressons : il est tout naturel que les affaires politiques soient conduites de la sorte. L’Angleterre, dans les questions tunisiennes, a toujours été à notre égard un peu stricte, un peu serrée, mais, en somme, correcte et loyale. Si elle a cherché à tirer profit de nos embarras, elle ne les a pas augmentés, et elle aurait pu le faire dans plus d’une circonstance. Nous lui rendons volontiers ce témoignage, à la condition toutefois qu’elle ne nous demande pas davantage. Il y aurait péril à créer des analogies artificielles et fausses : ce ne serait pas simplifier les questions, mais les embrouiller.


FRANCIS CHARMES.


Le Directeur-gérant,

F. BRUNETIERE.