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leur convînt, ne serait-ce point parce que, jusqu’ici, elles se sont beaucoup trop reposées sur l’État ? Après avoir soutenu la vigne plantée par Luther, l’échalas auquel le réformateur l’avait provisoirement accrochée en a paralysé la libre croissance ; vainement voudrait-il se dérober aux enlacemens de cette vigne ; elle s’y cramponnerait, anxieuse et tremblante. Il y a d’ailleurs un certain nombre d’esprits politiques qui, connaissant en gros la discorde des opinions théologiques, apprécient dans l’hégémonie de l’État une garantie de sécurité pour l’Église ; ils se rappellent le texte évangélique, qu’exploitent à satiété contre la Réforme les prédicateurs catholiques : « Toute maison divisée contre elle-même périra », et ils s’en remettent à l’État du soin d’arrêter l’exécution de cette menace. L’Eglise officielle, telle que l’État la fait vivoter, ressemble à l’un de ces cadres solidement agencés, savamment vernissés, où la toile, bien soutenue, repose en toute sécurité, et où ce qu’il y a de trop criant dans le contraste des couleurs, d’irrémédiable dans la cacophonie des nuances, et d’anarchique enfin dans la composition du tableau, est comme amorti, tempéré, effacé. Quant aux théologiens de « juste milieu », aux « libéraux » et aux adeptes de la théologie « moderne », ils aiment, pour la plupart, cet abri discret de l’Église officielle, et le paravent qu’i 1s y trouvent pour s’y disputer à l’aise et librement. On leur demande d’écarter toute forme trop provocante, d’éviter tout éclat trop brusque ; moyennant ces précautions, ils rencontrent dans l’État un silencieux complice de leurs audaces. Auraient-ils la même sûreté, le jour où une élite de croyans « positifs » présiderait aux Églises devenues autonomes ? Ces croyans, aujourd’hui, font appel à l’Etat pour réprimer les témérités théologiques ; érigés eux-mêmes en arbitres de toute spéculation et de toute foi, ne supprimeraient-ils pas la liberté des professeurs universitaires ? Et c’est en définitive pour garantir la souveraineté plénière de la science et les libres allures de la recherche théologique, que beaucoup de notabilités du protestantisme allemand défendent avec jalousie le régime des Landeskirchen, si périlleux qu’il soit pour la vitalité même du christianisme.


II

L’Allemagne contemporaine compte vingt-six Eglises évangéliques. On fit effort, en octobre 1871, pour les associer toutes