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contraste avec la belle humeur, l’allégresse britannique. Qui de nous peut se vanter d’avoir au fond de l’âme « une dose formidable de contentement ? »

Comme je l’ai dit, si M. Demolins tenait à convaincre ses lecteurs, il tenait encore plus à les émouvoir, et il y a bien réussi. Quelques-uns ont été consternés, navrés, atterrés. J’ai un voisin de campagne que ce terrible livre a plongé dans un sombre chagrin, dans un profond abattement ; il rougissait de n’être pas né Anglo-Saxon, il était confus, honteux de sentir battre dans sa poitrine un cœur celto-latin, de porter sur ses épaules une tête de frelon français. « Le moyen de lutter contre ces gens-là ! disait-il. Ils ont tout pour eux, les dons naturels, le génie des affaires, la persévérance que rien ne rebute, le goût des entreprises et l’amour passionné du travail. » Je lui accordai que M. Demolins avait eu raison de vanter la puissance de travail des Anglais, qu’ils se donnent tout entiers à ce qu’ils font, que rien ne les distrait de leur affaire ou de leur idée, qu’ils peuvent rester de longues heures sans prononcer une parole inutile, qu’ils n’en disent qu’à Dieu dans leurs interminables litanies, parce que cela ne tire pas à conséquence ; qu’ils n’en disent jamais aux hommes avec qui ils concluent un marché. Mais je lui représentai que s’il nous échappe beaucoup de propos inutiles ou indiscrets, cela tient à ce que nous sommes un peuple sociable, que la sociabilité a ses avantages, que si le travail intense est une source de bonheur, les distractions ont leur douceur, que les étourdis qui ont le don de s’oublier sont peut-être plus heureux que les gens âprement intéressés, qui ne se perdent jamais de vue.

Il eut peine à m’écouter jusqu’au bout. — « Eh ! oui, reprit-il, et pendant que nous bavardons, ils prennent aux quatre coins du monde tout ce qui est bon à prendre, et nous avons leurs restes, s’ils nous font la grâce de nous les laisser. Ce n’est pas nous qui aurions inventé de donner à la jeunesse une éducation pratique et harmonieuse ! Mettons le feu à nos collèges ; ce sera un bon commencement. » Je lui fis remarquer que le collège anglais, harmonieux et pratique, qu’a visité M. Demolins, est de fondation très récente et n’a encore que cinquante élèves, qu’il a été spécialement créé pour préparer les jeunes gens qui se proposent de s’établir aux colonies, qu’on s’applique à les mettre en état de se tirer d’affaire dans toutes les difficultés et dans toutes les situations de la vie d’aventure ; que le fondateur de ce collège, le très habile docteur Cecil Reddie, homme de haute taille, solidement musclé, toujours vêtu en touriste, portant une blouse en drap gris, des culottes courtes, de gros bas de laine repliés au-dessus des genoux, une solide