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campanules, que dominent à l’horizon des glaciers dont la base plonge dans les fleurs et dont les parois blanches étincellent au soleil. Mais aussi les taons et les moustiques font rage et ne laissent guère de loisirs pour admirer les beautés de la nature. En septembre, le décor change. Les fleurs disparaissent, les oiseaux fuient vers le sud, l’Indien regagne sa hutte, le blanc sa cabine, l’ours sa tanière ; et la neige recouvre de son blanc manteau la plaine, le fleuve, et les montagnes.

Il n’en va pas de même dans l’Alaska septentrional, où la flore est pauvre, où l’on ne rencontre que des mousses, des lichens et quelques rares arbustes nains dans les parties abritées. Les toundras s’étendent à perte de vue, plaines marécageuses, bossuées de gibbosités argileuses, sur le sommet desquelles le voyageur chemine, sautant de l’une à l’autre au risque de s’embourber jusqu’à la ceinture s’il vient à glisser dans leurs dépressions. Plus bas seulement commencent les forêts de conifères et de cèdres jaunes, mais ces forêts septentrionales sont aussi difficiles d’accès que les forêts vierges des zones tropicales. Sous leur sombre ramure, le sol marécageux se dérobe, des fondrières se creusent, et l’on a peine à se dégager du redoutable lacis des racines ; les fleurs n’ont ni couleur ni parfum, les baies sont sans saveur.

La faune est variée ; sur les côtes de l’océan Polaire se trouve l’ours blanc ; le noir et le brun sont communs dans le sud, et les Esquimaux suivent les sentiers qu’ils tracent dans les forêts, assurés d’éviter ainsi de s’enlizer dans les marécages. Le renne existe, mais encore en trop petit nombre. Il n’a pas dépendu du Révérend Sheldon Jackson, pendant bien des années missionnaire dans l’Alaska et aujourd’hui directeur des écoles, qu’il en fût autrement. Si ses conseils avaient été suivis, et si le gouvernement américain l’eût secondé, l’Alaska posséderait aujourd’hui d’innombrables troupeaux de rennes, et les communications y seraient autrement faciles qu’elles ne le sont. Nul, d’ailleurs, ne connaissait mieux que lui le pays, ses ressources et les services que l’on pouvait attendre des rennes. Mais on ne prévoyait pas la richesse des mines d’or et l’afflux des émigrans. Le gouvernement se préoccupait peu de la subsistance de trente-cinq mille Indiens clairsemés sur ce vaste territoire. Si les essais d’acclimatation du Révérend Sheldon Jackson étaient pour convaincre les plus sceptiques, on reculait devant la dépense. Avec les minimes subsides qu’on lui alloua, il importa de la Sibérie un millier de