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caisses de cartouches et de biscuits. L’armée grecque a tout laissé derrière elle. Dans la maison du Prince Constantin on a même retrouvé une sorte de dépôt de cartes topographiques, en assez grand nombre pour on donner à tous les officiers de l’armée victorieuse ; et les jeunes lieutenans et capitaines de l’état-major d’Edhem-Pacha sont tous occupés à traduire en écriture turque les noms grecs inscrits sur ces cartes. Nous nous faisons présenter au général en chef, Edhem-Pacha, qui nous reçoit avec une bonne grâce tranquille. Sa longue barbe noire est déjà pleine de fils blancs : il compte quarante-huit années bien sonnées, et ne peut converser avec nous sans l’aide d’un interprète. C’est un Turc, nullement européanisé, n’ayant jamais quitté les pays musulmans, et il a appris la guerre sur le terrain. Il me paraît surtout un praticien plein de bon sens et de prudence, un peu lent, connaissant bien ses hommes. Le groupe des attachés militaires l’entoure et chacun donne un avis sur les opérations. Voilà huit jours qu’on est arrêté dans cette ville, la guerre traîne. Tandis qu’on tient Trikala et Larissa, c’est-à-dire les deux pointes de la fourche que fait le chemin de fer thessalien, les Grecs tiennent encore le manche de cette fourche : la ville de Velestinon et le port de Volo ; et ils occupent aussi le milieu de la ligne, adossés qu’ils sont aux monts qui dominent Pharsale, et aux Monts Noirs, les antiques Cynocéphales. Va-t-on attaquer directement Velestinon où le colonel Mahmoud, engageant à fond un petit nombre d’hommes, a essuyé dernièrement un échec que les journaux d’Athènes ont transformé en une grande victoire pour leurs troupes ? Edhem en a laissé grandir le bruit, laissé même passer des télégrammes anglais dans ce sens ; puis il a annoncé, de sa voix basse et presque timide, que demain 5 mai on attaquerait l’ennemi à Pharsale. De Larissa et de Trikala, cinq divisions se mettront en route, et les places de Velestinon et de Volo tomberont d’elles-mêmes.


PIERRE MILLE.