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chef de gare, qui jusque-là n’avaient pu être que les plus courtois des hommes, en deviennent les plus obligeans. Tout est mis à ma disposition, chemins de fer, chevaux, escorte : et comme je parle au gouverneur militaire de la nécessité où je suis d’emmener un interprète et un guide, un officier tout chamarré d’or se lève et me dit gracieusement dans le plus pur français qu’il sera trop heureux si j’accepte sa compagnie : c’est le docteur Hayreddin-Bey, médecin major à cinq galons, dirions-nous en France, l’un des principaux chefs des ambulances, docteur de la faculté de Paris. Il a représenté jadis la Turquie aux fêtes données à M. Pasteur. C’est le plus charmant et le plus Français des Turcs.

— Laissez-moi vous donner un conseil, me dit-il, ne prenez pas de drogman. Il vous embarrassera, vous compromettra peut-être, vous volera sûrement, et vous verrez que vous n’en avez pas besoin : la moitié de nos officiers parle français. — J’ajoute tout de suite, en transcrivant ces notes, qu’il avait raison. A de rares exceptions près, je n’ai rencontré chez les Ottomans avec qui j’ai eu des relations que de la politesse, des égards, une espèce de bonhomie très caractéristique, et aussi, parfois, quelque chose qui ressemblait à une vieille et affectueuse camaraderie.


De Salonique à Elassona, 30 avril. — Nous voilà enfin à la frontière grecque après un voyage de trois jours et demi, rapide, rude, intéressant. Voie ferrée jusqu’à Sorovitch, puis de là à cheval jusqu’à Elassona.

A la gare même de Salonique, nous constatons par le spectacle que nous avons sous les yeux, et aussi par les graphiques que nous montre le chef de station, l’intensité et le succès de l’effort de la Turquie. La jonction ferrée Salonique-Constantinople, ainsi que le tronçon Salonique-Monastir, ont rendu tous les services sur lesquels on comptait, bien qu’avec une certaine lenteur, à cause de l’état de la voie. Depuis le mois de février jusqu’au commencement d’avril, 222 trains ont amené sur la frontière menacée 90 bataillons, et on en attend encore 72, sans compter 8 bataillons d’irréguliers. Ces bataillons sont de 750 hommes, quelques-uns même, me dit-on, en ont jusqu’à mille. C’est donc environ 72 000 hommes qui auraient passé par Salonique, et on en attend encore 65 000.

Et nous assistons au départ d’un de ces bataillons de volontaires. Il y en a sur le quai quelques centaines, troupe bigarrée