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pourvoyeuse de la rêverie, mais, surtout, par destination, évocatrice et confidente du plus haut soupir de l’homme, de son intime appel à son divin principe, à la Cause première et suprême, qu’il ne peut se résigner à croire indifférente et sourde, puisqu’elle a fait elle-même le cœur et l’oreille, leur communion merveilleuse, et ce qui les enchante.

Wagner a bien compris la profonde parenté de ces deux arts ; mais, si je ne me trompe, il en a plutôt compromis que consommé l’alliance, car toute son œuvre vise à les identifier : problème insoluble, à mon avis, et que le génie français, si pondéré, ferait sagement d’abandonner au génie allemand. Je voudrais, en quelques lignes, motiver cet humble conseil.

La poésie n’est pas un art par elle-même ; elle le devient par son organe qui est le vers. Or il se pourrait (j’en doute, mais j’avoue, à ma honte, mon ignorance de la langue allemande) que le vers allemand, pour être mis en musique, n’eût rien à sacrifier de son harmonie propre, littéraire ; qu’il fût susceptible de la conserver intégralement en s’assimilant la musique notée. Le vers français ne s’y prête pas, il se borne à fournir un thème à la composition, à l’inspirer d’autant mieux que ce thème est plus touchant et plus beau. J’ajoute que le compositeur sensible à la beauté musicale du vers s’en inspirera en même temps que du sentiment exprimé, mais il ne peut espérer la reproduire, il n’est en possession que de la traduire. Mettre le vers en musique, ce n’est pas ajouter, c’est substituer aux ressources inaliénables de sa technique, celles d’une autre technique infiniment plus riche, à son charme pour l’oreille, qui n’est jamais aigu, un autre charme plus nerveusement expressif et par-là beaucoup plus pénétrant.

Il y a, non pas fusion musicale, comme le voudrait Wagner, mais, bon gré, mal gré, simple transposition, sans que, bien entendu, le caractère passionnel en soit dénaturé ou compromis ; tout au contraire, il y gagne, il n’en est que plus accentué s’il a été bien compris du musicien. Il dépend, en effet, de celui-ci que le poète soit trahi ou servi, en tous cas il est supplanté. Il l’est, non dans son inspiration respectée, non dans la poésie même, mais dans sa fonction d’artiste.

Au point de vue français, mon opinion est donc faite sur cette collaboration ; au point de vue allemand je me récuse pour incompétence, avec la secrète confiance que ma précédente analyse est applicable à toutes les langues. Je me contenterai de signaler