Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 143.djvu/597

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’un de ces bambins, interrogé sur les théories de Malthus, répond que le conseil donné aux pauvres diables de n’avoir pas d’enfans était logique en somme ; il trouve que, seul, Malthus est allé au fond de l’horrible système économique du passé, ayant compris qu’il n’y avait pas place sur la terre pour ce système et pour l’espèce humaine à la fois. Regardant la propriété individuelle et le revenu comme respectables, ce philosophe ne pouvait que vouer l’espèce humaine à disparaître. On l’a blâmé, tandis qu’il faisait une bonne œuvre on plantant pour ainsi dire un signal d’alarme sur la planète, afin d’avertir les gens qu’ils y débarqueraient à leurs risques et périls.

C’est un garçon de quatorze ans qui parle. Ensuite, une jeune fille du même âge n’a aucune peine à démontrer que l’idée qu’on se faisait des avantages du luxe comme moyen de procurer du travail était la plus fausse du monde. Le gain démesuré des capitalistes avait simplement limité le champ des emplois productifs qui, sous un système rationnel, fournit du travail ù toutes les mains jusqu’à ce que tous les besoins soient satisfaits. Les moralistes tonnaient bien contre le luxe, mais inutilement, parce que le côté économique du sujet n’avait pas été pénétré. Personne ne semblait voir que le gaspillage des excès de gain était alors une nécessité économique ; sans lui la production se serait arrêtée. Sous le système de l’égalité, au contraire, la richesse est régulièrement distribuée parmi tous les membres de la société, comme l’est le sang dans un corps bien portant. Quand cette richesse restait concentrée entre les mains d’une partie seulement de la nation, elle perdait sa qualité vitale, comme fait le sang quand il se congestionne sur un point quelconque de notre organisme et devient un poison dont il faut se débarrasser à tout prix.

Une des petites écolières déclare qu’il n’y avait pas d’économie proprement dite avant la révolution. Tous les livres, très curieux d’ailleurs, publiés sur ce sujet devraient porter pour titre, dit-elle : Etudes sur le cours naturel que prennent les affaires économiques quand on les abandonne à l’anarchie. Avec quel étonnement leurs auteurs auraient-ils appris que le secret du système le plus efficace pour produire la richesse est la conformité de l’organisation nationale à l’enseignement de Jésus-Christ ! Mais les gens de ce temps-là voulaient que la conduite humaine obéît à deux directions opposées, l’une morale, l’autre économique, toutes les deux justes, apparemment de différentes façons.