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désorganisation successive de ses cadres, la France n’avait plus d’armée et que, sans une expédition au dehors qui reformât des soldats aguerris, elle ne pourrait plus soutenir sa vieille réputation au jour du combat. Une expédition étrangère, faite en vue de frapper les agitateurs du dedans, leur montrerait qu’on ne les craignait plus. D’ailleurs, on ne pouvait plus reculer ; et, après l’éclat d’un congrès, ne pas traverser la Bidassoa, attesterait une faiblesse du pouvoir et une défiance de l’armée, mille fois plus dangereuses dans un pays comme la France, qu’une invasion en Espagne, franche et hardie. Ainsi, sans s’occuper même de la situation déplorable où était placé un prince de la maison de Bourbon, la France trouvait dans son intérêt personnel bien entendu un motif déterminant pour faire la guerre.

Par toutes ces considérations, Chateaubriand et M. de La Ferronnays avaient opiné nettement pour la guerre, et M. de Caraman pour les négociations pacifiques. Quant à M. de Montmorency, soit calcul, soit indécision sur la forme à donner à notre intervention, il ne se prononça pas ouvertement ce jour-là.

J’ai tenu à citer intégralement ce procès-verbal de la conférence du 8 novembre, car il n’était pas destiné à la publicité, et il fut écrit sous l’inspiration directe de M. de La Ferronnays par ses deux secrétaires. L’on y retrouve tout ce que l’on connaissait déjà de sa pensée intime, et quant à Chateaubriand, il suffit de lire ses discours et d’ouvrir son Congrès de Vérone pour y trouver les mêmes idées et presque les mêmes phrases. L’authenticité, par suite, n’en est pas douteuse. Seulement, le 8 novembre, il ne parlait pas pour la galerie, comme il le fit plus tard à la tribune des Chambres ou dans ses ouvrages. C’était bien l’expression même de sa pensée intime, de sa grande pensée, de celle à laquelle il allait désormais consacrer la fin de son séjour au Congrès et les dix-huit mois de son ministère. Si nous le voyons, néanmoins, plus tard et notamment dans ses lettres des 20 et 28 novembre, écrites de Vienne à M. de Villèle, être moins affirmatif dans son opinion, c’était pour ménager le Président du conseil et l’amener graduellement à la résolution qu’il hésitait encore à prendre. Par trop de zèle, il aurait pu compromettre la cause qu’il voulait servir ; mais je ne crois pas possible de dire que Chateaubriand eût, un moment, changé d’opinion sur le fond de la question. Il a toujours voulu la guerre d’Espagne et, ce qui est assez rare en ce monde, il a pu réaliser l’œuvre à laquelle il s’intéressait, parce qu’à ses yeux, — et ce sera son mérite pour les uns, comme son excuse