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Mortemart, ambassadeur du roi Charles X, de proposer, en 1829, au prince de Polignac un projet de partage de l’empire ottoman. Ce projet n’était, à la vérité, qu’une ébauche, et nous n’aurions pas été seuls à bénéficier, en cas de décès, des dépouilles de « l’Homme malade », car toutes les puissances en auraient eu leur part ; mais si la paix n’avait pas été signée à Andrinople, il aurait pu nous procurer des compensations territoriales importantes, en retour des avantages que la Russie aurait obtenus en Orient.

C’est cette alliance avec ces conséquences que Chateaubriand avait en tête, quand il alla à Vérone, et dont il posa en partie les fondemens, pendant son ministère, par l’expédition d’Espagne. Il n’était pas le seul, du reste, à la vouloir. Les hommes politiques de la Restauration, sauf le prince de Talleyrand, furent tous à peu près fidèles à la même pensée. M. de Montmorency, prédécesseur de Chateaubriand aux affaires étrangères, et surtout M. de la Ferronnays, notre ambassadeur à Saint-Pétersbourg, se constituèrent au congrès de Vérone, à quelques nuances près, les interprètes de la même politique. M. de Villèle, lui-même, d’abord hostile à une expédition qui dérangeait l’équilibre de son budget, une fois engagé, n’hésita pas plus tard à se féliciter des résultats obtenus, lorsque les élections nouvelles lui envoyèrent une énorme majorité ministérielle. Sa correspondance en fait foi ; mais il n’est que juste de reconnaître que Chateaubriand fut plus qu’un autre le partisan d’une idée qui procura à la Restauration d’importans avantages, au dedans et au dehors, et aurait pu, si ce gouvernement avait duré, lui en ménager d’autres plus grands dans l’avenir.

L’Histoire de la Restauration, de M. de Viel-Castel, fait connaître une grande partie des incidens diplomatiques auxquels je viens de faire allusion. Mais il n’avait pas assisté au congrès de Vérone ; la personnalité de Chateaubriand lui était fort peu sympathique, ainsi que j’ai pu m’en convaincre moi-même dans plusieurs entretiens confidentiels. Son livre laisse voir mieux encore la sévérité avec laquelle il jugeait les faiblesses du grand écrivain. D’ailleurs, le libéralisme d’esprit de M. de Viel-Castel, qui l’associa plus ou moins intimement à la pensée du gouvernement de Juillet et aux personnages marquans de ce régime, ne lui permettait pas de juger, au même point de vue que l’opinion royaliste de 1823, les mobiles qui avaient déterminé notre intervention en Espagne. Il faut donc, malgré ses efforts