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regards des lanciers se fixaient sur la petite maison. Du Breuil s’en approcha.

L’Empereur et le Prince impérial montaient dans une calèche attelée en poste, avec deux personnes de la suite. Une extrême fatigue décomposait le visage du Souverain. Les larmes semblaient y avoir creusé des sillons. Le buste s’affaissait encore plus. Personne autour des voitures où la maison militaire, morne, prenait place. Quelques cent-gardes caracolèrent. Leur éclatante tenue, pantalon rouge, tunique bleue aux aiguillettes d’or, bicorne brodé, semblait terne, dans le petit jour glacé. Quatre ou cinq paysans, dans la rue déserte, béaient. Du Breuil aperçut Jaillant, terreux, les moustaches tombantes du comte Duclos. Une tristesse générale régnait.

Brusquement, un galop d’estafette retentit. Le bruit courut que des uhlans infestaient la route. Bazaine arrivait enfin, et derrière lui, presque aussitôt, Canrobert, puis Bourbaki, Frossard. Sans descendre de cheval, le commandant en chef serra la main de Napoléon. Les trompettes sonnèrent « au trot », les dragons de l’Impératrice prirent les devans, et le cocher silencieusement toucha. La voiture roulait, suivie immédiatement des lanciers en colonne par quatre. Et dans le bruit décroissant de l’escorte, à travers l’aube blême et l’inconnu, Du Breuil suivait de l’âme cette calèche sinistre, emportant le vieillard et l’enfant, dos courbés sous le poids du sort.

Où s’en allaient-ils ainsi ? L’élan de cœur qui l’attirait naguère vers Napoléon le saisit de nouveau ; comme il l’avait acclamé dans sa gloire, il le plaignit dans son effondrement. Jamais il n’oublierait le doux sourire endormi, l’air de bonté du visage auguste. Mais il ne pouvait songer sans douleur à cette légèreté coupable, sans trouble à ce revers inouï. Privé de l’ancienne foi, tâtonnant dans les ténèbres et le doute, il ne savait plus que penser. Un à un, de nouveaux renseignemens parvinrent. L’ennemi n’était pas en force. Rien à craindre d’immédiat. Le général Frossard, au 2e corps, ne pensait pas, décidément, que les forces allemandes, signalées à Gorze, dépassassent 4 000 hommes. Au 6e corps, on était sans nouvelles de l’ennemi. Et le capitaine Arnous-Rivière, dont la compagnie d’éclaireurs volontaires avait fouillé pendant la nuit les ravins qui aboutissent à la Moselle, faisait de son côté le même compte rendu.

Le maréchal recevait d’autre part une lettre du maréchal Le-