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du plus grand danger les troupes turques qui, dans l’impossibilité où elles étaient de recevoir des renforts, auraient inévitablement fini par succomber. Elle a fait plus, elle a sauvé un très grand nombre de musulmans crétois, dont la situation est très malheureuse sans doute, mais qui vivent, et dont le sort ultérieur peut être adouci. Ils n’auraient certainement pas péri sans se défendre, sans se venger. La Crète aurait été mise à feu et à sang. L’intervention européenne l’a préservée de ces horreurs. Ce sont là des faits incontestables, et qui constituent des titres. L’Europe est en droit aujourd’hui de faire de la Crète ce qu’elle voudra : nous lui demandons seulement de vouloir en faire quelque chose. Les moyens ne lui font pas défaut : la bonne volonté seule lui a manqué jusqu’ici.

On avait parlé d’une candidature au gouvernement de l’île, pourquoi n’en parle-t-on plus ? Il s’agissait de M. Numa Droz, ancien président de la Confédération helvétique, homme politique et jurisconsulte. Cette candidature a-t-elle été formellement écartée ? Nous n’en savons rien. Qu’on y revienne ou qu’on en fasse surgir une autre, peu importe, pourvu qu’on prenne un parti. À défaut d’un modeste citoyen, veut-on un prince de grande famille ? Est-ce que l’inépuisable maison de Saxe-Cobourg n’en a pas quelques-uns encore de disponibles ? Est-ce que les trônes de l’Europe sont dégarnis de tout entourage ? Il suffirait de feuilleter l’almanach de Gotha pour trouver ce qu’on cherche. Ne veut-on pas d’un prince ? Ne le juge-t-on pas indispensable ? Préfère-t-on un général ? Peut-être, en effet, dans les circonstances actuelles, le choix d’un militaire serait-il opportun. Nous en avons envoyé un à Madagascar, et nous n’avons pas eu à le regretter. On en trouverait dans plusieurs pays d’Europe, qui ont déjà fait des expéditions coloniales plus ou moins brillantes et dont le nom est entouré d’un certain prestige. Militaire, prince, homme politique, il faudrait tout accepter si on proposait quelqu’un, car il est temps de tirer la Crète de la situation indéterminée où elle se trouve, et où l’Europe, insensible, impitoyable, la laisse se débattre sans lui tendre la main. En agissant ainsi, ou, pour mieux dire, en n’agissant pas du tout, en s’abstenant de toute intervention, l’Europe encourt une responsabilité qui devient chaque jour plus lourde. Combien de fois n’a-t-elle pas dit qu’elle prenait la Crète sous sa tutelle ? Quand on a contracté devant le monde et devant l’histoire de tels engagemens, il faut les tenir. Mais lord Salisbury ne juge pas que le concert européen soit susceptible de s’appliquer à deux besognes en même temps, et les apparences donnent raison à son scepticisme. Toutefois, si on