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ajournée. On a vu, récemment encore, l’influence de l’Ethniké Etaïria se manifester d’une manière sensible sur l’Assemblée générale crétoise. Il s’agissait de décider si, oui ou non, l’Assemblée acceptait l’autonomie, telle que l’Europe la proposait, telle que la Porte semblait y avoir consenti. Le président de l’Assemblée générale était le docteur Sphakianaki, le plus important des délégués chargés de négocier avec l’Europe la nouvelle constitution de la Crète, homme éclairé, conciliant, apte à s’inspirer des circonstances, et qui, incontestablement, disposait dans l’Assemblée d’une majorité considérable. Comment donc s’est-il fait qu’à la veille même du vote le docteur Sphakianaki ait été brusquement remplacé par M. Benizelo, avocat à la Canée, partisan avéré de l’incorporation de la Crète à la Grèce, entremetteur des insurgés et de l’Ethniké Etaïria ? Il y a eu là une surprise comme il s’en produit assez souvent dans les assemblées, et probablement un de ces tours de main auxquels les sociétés secrètes sont toujours expertes. L’affaire n’a pas eu de suites. L’élection de M. Benizelo a soulevé bientôt une si vive émotion, qu’elle a été considérée comme non avenue. M. Benizelo et les deux vice-présidens élus avec lui n’ont point paru le jour du vote à l’Assemblée, et celle-ci, rendue à elle-même, a décidé librement qu’elle acceptait l’autonomie, en y mettant toutefois pour condition que les troupes turques évacueraient l’île. La majorité a même été très considérable : 60 voix contre 12. Il n’en est pas moins vrai que le vote a failli être tout différent ; que le résultat final a sans doute tenu à peu de chose, et que M. Benizelo avait plus de partisans qu’on ne pense. Ils se sont ravisés au dernier moment ; le sentiment du danger les a retenus. Le vote de l’Assemblée générale est acquis, et l’Europe l’a enregistré avec satisfaction : mais c’est un de ces votes sur lesquels il serait imprudent de faire trop de fond. Peut-être n’aurait-il pas été le même, la veille ; peut-être ne le serait-il pas le lendemain. La politique impose ces votes et les dicte, sans qu’ils soient l’objet d’une adhésion bien sincère de la part de ceux qui les émettent. Quoi qu’il en soit, ce court mais significatif épisode de la nomination de M. Benizelo montre que les sociétés secrètes sont toujours agissantes, et qu’il faudrait peu de chose pour que leur action redevînt prépondérante. L’abstention inexplicable de l’Europe est de nature à la favoriser. Et c’est dans ces conditions que les amiraux parlent de lever le blocus ! Si cette proposition était suivie d’effet, les relations entre les insurgés et les sociétés révolutionnaires, un peu gênées aujourd’hui, reprendraient aussitôt toute leur liberté. Nous en serions moins émus si l’Europe avait déjà donné une constitution et