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n’en manquent pas même pour s’y égarer. Car, nous pouvons le remarquer en passant, les livres qu’on met entre les mains des écoliers pour leur faire suivre en quelque manière à travers les siècles l’enchaînement des idées critiques, semblent choisis comme exprès parmi les écrits les plus dénués de fondement ou de portée. C’est la Défense et illustration de la langue française écrite par Du Bellay dans l’irréflexion de la jeunesse et dans l’emportement de la lutte. C’est de Fénelon la Lettre à l’Académie française, causerie ingénieuse et paradoxale d’un bel esprit chimérique. C’est le Discours sur le style auquel sans doute Buffon lui-même n’attachait d’autre importance que celle d’un tribut payé aux usages académiques. Des jugemens échappés à l’improvisation ou à la fantaisie sont devenus autant de textes sur lesquels les générations successives sont conviées à méditer. Joignez-y d’étranges sujets de dissertations empruntés un jour aux Lettres de Dupuis et Cotonet, et un autre jour aux Préfaces de Dumas fils. On dirait d’une gageure. Les formules nuageuses, les erreurs énormes et les absurdités colossales de la Préface de « Cromwell » compléteraient d’une façon trop éclatante cet ensemble déjà imposant. On discute sur le plus ou moins d’avantages que les jeunes gens retirent de l’éducation classique ; du moins ne doit-elle pas avoir pour résultat de leur déformer l’esprit ; mais, à moins de se condamner elle-même et sous peine de perdre sa raison d’être, elle continuera d’avoir pour objet de fortifier leur raison, d’affiner leur goût, de les mettre en garde contre les entraînemens du caprice et la duperie des mots, et de leur inspirer, avec le sentiment de la mesure et le respect du sens commun, l’horreur du fatras.


RENE DOUMIC.