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celles qui nous paraissent les plus graves. Elles portent sur des faits et il est donc facile de les rectifier. Il en est d’autres que nous redoutons davantage pour les écoliers, parce qu’elles risqueraient de leur fausser l’esprit, et de développer chez eux l’inintelligence des œuvres qui sont au centre même de notre littérature et de notre enseignement. Car Victor Hugo a beau prétendre qu’il n’en veut qu’aux pseudo-classiques et aux imitateurs des maîtres, en réalité ses attaques vont frapper Racine par-delà Campistron et Boileau par-dessus La Harpe. Il ne se contente pas de remarquer avec tout le monde que la forme de la tragédie a fait son temps, mais il conteste la légitimité du système pris dans son essence et dans ses principes fondamentaux, à savoir la séparation des genres et la règle des trois unités. A l’entendre, cette règle n’est qu’une invention « absurde » et sortie toute hérissée du cerveau des pédans. Il ne voit pas que loin d’être arbitraire, elle fait intimement partie d’un système, le plus harmonieux qui soit, de celui où s’est exprimé de la façon la plus originale et en même temps la plus élevée notre génie national. Il affirme que, grâce au dogme de la séparation des genres, il n’y a sur notre théâtre que, d’une part, des abstractions de vices et de ridicules, de l’autre, des abstractions de crime, d’héroïsme et de vertu, en sorte qu’après toutes ces abstractions il reste quelque chose à représenter : l’homme. Des héros abstraits, de pâles confidens, une action uniforme et monocorde, qui se déroule dans un vestibule irréel et dont encore le meilleur se passe dans la coulisse, tels sont les traits par lesquels il prétend caractériser nos tragédies. A tous ces défauts elles en ajoutent un, qui résume tous les autres : c’est qu’elles ne sont pas les drames de Shakspeare. Aussi, tant que l’étude de Shakspeare n’aura pas remplacé dans nos classes celle de Corneille, de Racine et de Molière, nous n’admettrons pas qu’on sacrifie au maître du théâtre anglais les maîtres de notre théâtre. Tant qu’on n’aura pas cessé de proposer à l’admiration des jeunes gens notre théâtre classique, nous n’admettrons pas qu’on leur en présente la dérision. A moins peut-être qu’on ne prétende qu’il est utile de développer de bonne heure dans la jeunesse un dilettantisme très philosophe et que pour ceux qui détiennent un enseignement le premier mot de la sagesse consiste à commencer par se railler soi-même.

Incapable de mettre de la clarté dans ses idées et de l’ordre dans ses raisonnemens, l’auteur de la Préface n’avance une opinion que pour exprimer aussitôt l’opinion contraire. Il vient de poser en principe que les anciens n’ont pas connu le grotesque : il continue en