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de ses confrères, quelque chose qui lui appartient bien en propre et par où ses livres sont vraiment nouveaux. Cet habile conteur d’anecdotes galantes est, avec cela, un zélé nietzschéen. Non pas qu’il se préoccupe de suivre l’auteur de Zarathustra dans le détail de ses théories, ni même qu’il accorde la moindre part, dans ses romans, à la fameuse conception du super-homme, mieux faite, cependant, pour relever du roman que de la philosophie. De toutes les doctrines successives de Nietzsche, il n’a retenu que deux choses, la haine de la vieille morale et l’affirmation du droit qu’il y a pour tout homme à jouir librement, pleinement, de sa vie. Mais soit que ces deux principes aient concordé chez lui avec un sentiment naturel, ou qu’il ait mis à se les assimiler sa souplesse, sa finesse, et son habileté ordinaires, ils forment en quelque sorte la base morale de chacun de ses livres ; et c’est eux qui en constituent la grande, la principale, ou pour mieux dire l’unique originalité.

Rien de curieux, à ce point de vue, comme de comparer ces livres du jeune auteur danois avec les œuvres françaises traitant des mêmes sujets. Ce qui n’était, pour les naturalistes, que simple affaire de satire ou de caricature, M. Nansen nous le présente, avec un sérieux parfait, comme les actions du monde les plus naturelles. L’amant d’Un heureux mariage est, à beaucoup près, le personnage le plus sympathique du roman ; et quand il partage son affection entre sa maîtresse et le mari de celle-ci, quand ensuite il s’indigne de se voir remplacé, quand il dénonce la jeune femme, ne croyez pas que l’auteur en prenne occasion pour rire, ou pour moraliser : il entend au contraire nous apitoyer sur les souffrances de cette âme d’élite, condamnée par sa supériorité même à ne point trouver de bonheur. Dans le Journal de Julie, c’est Julie qui est ridicule à force de tendresse et d’ingénuité, tandis que son séducteur, le comédien Alfred Mœrk, est une manière de héros ; et tout en nous refusant à voir dans ce personnage, ainsi que nous y invite M. Poppenberg, l’incarnation de M. Nansen lui-même, nous sentons bien que le principal objet du livre est de nous le faire admirer.

L’histoire de l’étudiant Emile Holm, rompant avec ses parens, délaissant sa fiancée, débauchant une autre jeune fille et la congédiant aussi, c’est, dans la pensée du romancier, le tableau des sacrifices que doit faire tout homme qui désire être fibre, et cultiver pleinement les fleurs de son moi. Et si l’amant de Marie, à la fin du livre, se résigne à se marier avec celle dont il avait projeté de faire la femme d’un autre homme, M. Nansen a bien soin de nous