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présence eût été si nécessaire… Au temps de sa jeunesse, il eût trouvé plus d’intérêt à voir en si peu de temps, ainsi qu’il l’a fait, des contrées si variées… Son corps à ce moment eût été plus robuste pour endurer les fatigues de la poste et, à pratiquer ainsi des peuples si divers, son esprit aurait pu se rendre capable de plus grandes choses pour l’avenir. Maintenant, au contraire, ses forces vont en déclinant, et de tant de fatigues il ne saurait tirer d’autre profit que celui de mourir un peu plus instruit. Il se console pourtant à la pensée de tous les beaux spectacles qui se sont offerts à lui sur son chemin. »

Le 22 mai 1629, le secrétaire d’Etat d’Angleterre, sir Francis Gottington, mis au courant de la mission de Rubens, écrivait en Flandre à don Carlos Coloma que Charles Ier était très satisfait de cette mission, « non seulement eu égard aux propositions qu’apportait Rubens, mais aussi à cause du désir qu’il avait de connaître un homme d’un pareil mérite. » En même temps que cette lettre, il envoyait un sauf-conduit pour l’artiste, et celui-ci s’embarquait à Dunkerque, avec son beau-frère Henri Brant, sur un navire de guerre anglais qui venait de ramener un gentilhomme lorrain, le marquis de Ville, lequel retournait dans son pays. Le 5 juin, Rubens arrivait à Londres, où il descendait chez son ami, Baltazar Gerbier, que Charles Ier avait chargé de le recevoir et de le défrayer de tout. Le peintre, nous le savons, n’était pas un inconnu pour le roi d’Angleterre, et ce dernier, qui possédait un de ses tableaux, Judith et Holopherne, peint dans sa jeunesse, lui avait fait demander quelques années auparavant son portrait par le ministre d’Angleterre à Bruxelles[1] « avec une telle instance, écrivait alors Rubens (lettre du 10 janvier 1625 à Valavès) qu’il n’y eut aucun moyen de le pouvoir refuser, encore qu’il lui semblât peu convenable d’envoyer son portrait à un prince de telle qualité ; mais il avait forcé sa modestie. » Aussi, à peine informé de l’arrivée de l’artiste, le roi l’avait invité à venir le voir à Greenwich, où il se trouvait, et lui avait fait le plus gracieux accueil.

L’Angleterre était naturellement devenue le point de mire de la France et de l’Espagne et les ministres dirigeans de ces deux pays, Richelieu et Olivarès, s’efforçaient à l’envi d’obtenir avec elle un traité d’alliance. Dans ces conditions, la cour britannique

  1. C’est le beau portrait de la collection de la Reine à Windsor.