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déconcerte. Ils s’étaient habitués aux embuscades de l’Apennin et des Abruzzes où ils n’avaient affaire qu’à des bandes ; à Naples, c’est toute une population qui marche et qui se bat plus intrépidement que les troupes de ligne.

« Les places les mieux armées ouvraient leurs portes comme au coup de baguette, dit Thiébault ; ici des bicoques qu’aucun soldat n’aurait osé défendre résistent jusqu’à l’extermination. » Les vieux soldats, ceux qui ont fait toutes les campagnes républicaines, y compris la guerre civile, se rappellent qui « les hideux fédérés de Marseille », qui « les brigands vendéens ». Tous pressentent je ne sais quoi de prodigieux, comme un flux contre nature, un peuple, un patriotisme soulevés contre la Révolution. Les officiers qui survivront assez vieux pour suivre les armées françaises d’Italie en Espagne et d’Espagne à Moscou, penseront plus d’une fois à ce terrible avertissement des lazzaroni de Naples ; car rien, pas même Saragosse, où le siège et l’assaut se firent pas à pas et durèrent des semaines, n’a laissé dans la mémoire des Français une trace aussi sanglante par l’acharnement, la férocité forcenée de la défense ; par l’énergie tendue, infatigable de l’attaque ; par l’atrocité nécessaire des représailles dans ces combats de rues entre une armée et une foule insurgée, avec la complicité de toute une population, jusqu’aux enfans et aux femmes, où le coup de couteau sournois attend ceux qui ont résisté au coup de fusil du soupirail et de la lucarne.

La citadelle était aux mains de l’armée de ligne, les libéraux y avaient des intelligences : elle fut livrée. Le 23 janvier, après trois jours de lutte, ayant tué 10 000 lazzaroni et perdu 1 000 de ses hommes, Championnet fit son entrée dans Naples. Les Bourbons de Sicile avaient cessé de régner ; la république napolitaine allait naître. Mais si le peuple est terrassé, il n’est pas soumis, et ces masses, encore toutes frémissantes, n’auraient qu’à se serrer pour étouffer la petite phalange des Français. Championnet n’était pas seulement un guerrier, il était de la race des héros au cœur tendre, des héros magnanimes ; intelligent, de plus, connaissant l’Italie, parlant l’italien et révélant à lui-même et aux autres, en avançant dans sa conquête, un surprenant instinct d’Etat.

Il se montra pitoyable et se fit connaître aux Napolitains par un trait d’audace et de politique qui imposa singulièrement à ces têtes mobiles. Un officier d’avant-garde se rendit, avec quelques grenadiers, au cœur de la ville, dévoué à la mort s’il provoquait