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avoir renversé Robespierre, ils s’étaient montrés incapables d’organiser la république et de fonder la démocratie. Ils ne se soutenaient qu’en proscrivant toujours, au dedans, en conquérant toujours, au dehors. La paix leur était interdite, car elle suppose le concours et l’affection des peuples. Ils étaient obligés d’avancer continuellement, de pratiquer l’invasion indéfinie, qui consterne les nations, les accable, les révolte. Mais ils savaient oser, combiner les machines de guerre, risquer les coups désespérés. « Tenez pour certain, dit Rewbell à Sandoz, au commencement de décembre 1798, que la République française, provoquée comme elle vient de l’être, saura se défendre et attaquer à outrance… Nous porterons nos armées à un état de plus de 500 000 hommes. Le Directoire apprendra, dans cette guerre, qui sont ses ennemis et ses amis, et saura prendre ses mesures en conséquence. Peu de puissances voudront rester neutres, au premier échec que nous essuierons… Ce serait un grand malheur, car l’Europe, déchirée et anarchisée, resterait sans médiateur et deviendrait la proie de l’Angleterre et de la Russie. »

Il faut prévenir l’ennemi, barrer le passage aux Autrichiens en Suisse, les déloger des Grisons, se barricader dans la Cisalpine, se faire, dans le Piémont, un réduit inexpugnable, et puisque Naples ose attaquer, répondre par un contre-coup formidable et porter la révolution jusqu’en Sicile. L’empereur, désorienté, tremblant pour Venise, se décidera peut-être à traiter. Quant aux Russes, qui sait si leur véritable objectif n’est pas la Turquie ? En tout cas, c’est la grande diversion à opérer contre eux. L’empire ottoman croule. Celui qui arrivera le premier à Constantinople fera le marché. Les Directeurs reviennent alors aux projets que Bonaparte leur développait naguère, et conçoivent le dessein d’un immense mouvement tournant. Ils écrivent, le 4 novembre, à Bonaparte : « Le retour en France paraissant difficile à effectuer dans le moment, il paraît vous laisser trois partis, parmi lesquels vous pouvez choisir : demeurer en Égypte en vous y formant un établissement qui soit à l’abri des attaques des Turcs… ; pénétrer dans l’Inde où, si vous arrivez, il n’est pas douteux que vous ne trouviez des hommes prêts à s’unir à vous pour détruire la domination anglaise ; enfin marcher sur Constantinople au-devant de l’ennemi qui vous menace. C’est à vous de choisir, d’accord avec l’élite de braves et d’hommes distingués qui vous entourent. Mais, de quelque côté que se tournent vos