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de ruine par le projet de Transchinois et les progrès de la marine japonaise. Seules la France et la Russie ont obtenu des avantages sérieux ; il semble qu’elles aient gagné en prestige tout ce que perdaient l’Angleterre et l’Allemagne ; mais les intérêts français en Extrême-Orient ne sont que secondaires, et c’est la Russie qui semblerait l’avoir définitivement emporté dans la lutte pour l’exploitation de la Chine, si elle ne voyait s’élever en face d’elle un jeune et dangereux rival, le Japon.


VI

Comme ceux de l’Allemagne en 1870, les triomphes du Japon ont été le prélude et la cause d’un merveilleux développement de toutes les forces vives du pays. Les Japonais ont su faire servir l’indemnité de guerre chinoise — comme les Allemands nos milliards — à un prodigieux accroissement de leur puissance militaire et économique.

Avant la guerre déjà, les Japonais faisaient dans toutes les mers orientales, et jusque dans les Indes, un commerce chaque jour plus florissant. La guerre n’arrêta pas cet essor ; le gouvernement nolisa les bâtimens de la Nippon-Yusen-Kaisha, mais celle-ci affréta, pour les remplacer, quantité de petits caboteurs allemands ou anglais que, la guerre finie, elle acheta pour la plupart[1]. Après le traité de Shimonosaki, le Japon, qui avait espéré devenir, dans tous les pays jaunes, l’initiateur de la civilisation occidentale, dut borner son ambition à développer sa puissance militaire, industrielle et commerciale et à régner sur le marché économique de l’Extrême-Orient. Il se mit à l’œuvre avec l’ardeur et la foi que donnent le succès : « Le monde industriel japonais changea complètement sa face. L’esprit d’entreprise commerciale poussé par des gens optimistes, gonflés de l’orgueil national, gagna du terrain[2]. » Le gouvernement provoqua et seconda l’initiative privée : de 1896 à 1906 il prévoit, sous forme de subventions de tout genre au commerce et à l’industrie, une dépense de 70 millions de yens pour aider au progrès économique du pays. Le succès a répondu aux efforts des Japonais : en Corée, leur commerce a si bien supplanté le commerce chinois que la

  1. C’est ce qui explique que le tonnage de la flotte de la Compagnie ait — de 1893 à 1896 — passé de 64 000 tonnes à 126 000.
  2. Lettre de M. Ourakami à l’Économiste français, 12 septembre 1896.