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ligne Hankow-Shanghaï ; l’autre ligne (Pékin-Hankow-Canton) resterait l’entreprise du syndicat franco-belge. Rien, d’ailleurs, n’est encore décidé : on attendait pour cela la présence du prince Oukhtomsky, directeur de la banque russo-chinoise et du chemin de fer de l’Est-chinois, qui vient (fin mai) d’arriver à Pékin, porteur d’une lettre autographe du tsar à l’impératrice mère[1]. Le rôle de conseiller écouté et d’arbitre suprême joué par ce haut personnage est significatif. Quel que soit le syndicat qui doive apporter aux Célestes son concours financier, c’est aux Russes surtout que profitera le nouveau chemin de fer. Le Transchinois se reliera à Pékin au Transsibérien : il sera le grand collecteur qui amènera aux lignes russes les richesses de la Chine centrale, les charbons du Chan-Si, les produits agricoles des deux Hous, les thés, les soies, les porcelaines ; au lieu de descendre le Yang-tse pour être transportées par Shanghaï en Europe, c’est vers le nord que se dirigeront les marchandises, c’est par les voies russes qu’elles transiteront. Au point de vue commercial, c’est Hankow qui sera le terminus du Transsibérien.

Par ses chemins de fer la Russie est donc sûre d’obtenir une grosse part des bénéfices de l’exploitation de la Chine ; l’Allemagne, au contraire, aura retiré peu de fruits de son intervention dans les affaires orientales. Elle avait espéré des faveurs particulières pour son commerce en Chine, mais elle ne put rien arracher à l’ingratitude du Tsong-li-yamen : d’ailleurs il aurait fallu que sa marine marchande obtînt des avantages tout à fait exceptionnels pour lutter contre la concurrence des Japonais qui sont chez eux, qui ont sur le lieu même le charbon et qui paient si peu cher la main-d’œuvre. Tout ce que le Fils du Ciel accorda à l’Allemagne, ce fut une « concession » à Tientsin, maigre résultat en comparaison des énormes avantages militaires et commerciaux obtenus par la Russie. Mal payée de reconnaissance par la Chine, l’Allemagne n’en fut pas pour cela moins détestée au Japon. L’opinion publique ne lui a pas pardonné le ton arrogant et impérieux pris par son ministre pour donner au gouvernement du Mikado le « conseil amical » d’évacuer le Liao-Tung. C’est peut-être, de tous les étrangers, contre les Allemands que les Japonais montrent le plus d’animosité. Tout récemment le

  1. Depuis que ces lignes ont été écrites, le prince Oukhtomsky est revenu à Saint-Pétersbourg et, d’après le Times, le contrat de Sheng avec les Américains aurait reçu l’approbation du Tsong-li-yamen.