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chinoises, une Chine forte, vivante et libre. C’est alors qu’il se tourna vers le tsar. Sans illusion sur son désintéressement, il rechercha son appui et son amitié.

Mais avant de signer avec le gouvernement russe le contrat qui devait décider du sort de la Chine, avant de céder définitivement aux pressantes instances de la diplomatie moscovite, il vint en Europe et s’assura par ses yeux que, pour l’exploitation du grand marché chinois, aucun adjudicataire n’offrait des garanties plus sérieuses ou des conditions plus avantageuses que la Russie. A travers les capitales de l’ancien et du nouveau monde, le vieux mandarin promena sa robe de soie et sa plume de paon ; sous prétexte de commandes à faire, il visita les arsenaux, les usines, les ports ; on ouvrit toutes les portes à ce client de haut vol, on exhiba devant lui l’étalage des meilleures marchandises. Mais les commandes n’affluèrent pas ; en bon commerçant chinois, Li-Hung-Chang avait simplement voulu s’assurer de la situation politique et économique d’un pays avec lequel il allait conclure un marché gigantesque. D’un côté, il avait vu l’Angleterre, l’Allemagne, la France, les Etats-Unis pressés d’écouler vers l’Orient leurs machines, leurs tissus, tous les produits variés d’une industrie grandissante, et obligés, par les nécessités de la concurrence et d’une production chaque jour plus développée, par la fermeture des anciens débouchés, d’en créer de nouveaux ou d’en ouvrir, au besoin, par la force. D’autre part, Li-Hung-Chang avait reconnu qu’à une intimité politique et économique la Chine et la Russie avaient même intérêt. — Ce fut désormais sur l’amitié russe que l’empire chinois fonda ses rêves de richesse et ses espérances de grandeur.


IV

C’est en Asie même que la Russie a rencontré son adversaire le plus dangereux, le Japon. Les Japonais doivent aux Chinois leur civilisation, ils ont avec eux de grandes affinités. L’ensemble compliqué des idées, des instincts, des façons d’être, d’agir et de penser qui constituent l’âme chinoise est pour nous une énigme indéchiffrable ; les Japonais en ont la clef. Sinon de même race, du moins de même famille, ils ont sur leurs frères jaunes la supériorité que donne un caractère plus élevé et une intelligence plus ouverte. Le Chinois n’est mû que par la piété filiale et la