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autrement, si l’Esprit me dispense bien sa lumière. Il est écrit : « Au commencement était l’Intelligence ! » Réfléchissons bien à cette première ligne, et que ma phrase ne se presse pas trop ! Est-ce de l’Intelligence qu’est née la Force ? Mais tandis que j’écris ceci, quelque chose m’avertit déjà de n’en pas rester là. L’Esprit vient à mon aide ! Me voici soudainement inspiré, et j’écris avec assurance : « Au commencement était l’Action. »

Il semble qu’en avançant vers le terme de ses expériences, Faust en revienne à cette illumination de « l’Esprit ». Rapprochez de cette lueur entrevue à travers ses doutes la déclaration si nette qu’il fait longtemps plus tard à son éternel compagnon, en sortant d’un nuage, dans une scène fort belle :

— Le commandement, voilà ce que je veux conquérir, la possession : l’action est tout, néant que la gloire !

D’autres passages synoptiques, que nous avons déjà signalés, dégagent encore cette idée de la prédominance de l’action, avec une force plus grande. Ce sont, dans le Prologue dans le ciel, les paroles déjà citées du Seigneur (« Un homme bon, dans son effort au milieu des ténèbres, a la claire conscience du bon chemin ») ; les conditions du pacte ; le dernier projet de Faust (la construction d’une digue) ; son dialogue avec l’Inquiétude (« Je n’ai fait que courir à travers le monde… Je n’ai fait que désirer et accomplir et désirer encore, et j’ai ainsi traversé ma vie avec la puissance de l’orage ») ; la dernière parole de Faust (« Celui-là seul mérite la liberté aussi bien que la vie, qui sait la conquérir chaque jour… ») ; enfin, la strophe du « Chœur des Anges » à laquelle il faut revenir :

« Il est sauvé, le noble membre du monde des Esprits, sauvé du malin : celui qui s’efforce en une constante aspiration, celui-là nous pouvons le racheter. »

Que ce soit bien là l’idée fondamentale de Faust, on n’en saurait douter. A travers les oscillations d’une œuvre dont l’équilibre n’est jamais parfait, derrière le drame d’amour qui remplit sa première partie, sous les broderies allégoriques et symboliques dont sa seconde partie est surchargée, cette idée du salut par l’action ressort, lumineuse et certaine. Peu importe que plusieurs scènes aient été écrites avant qu’elle se soit précisée dans l’esprit du poète, peu importe le moment de la composition où elle est apparue : elle la domine comme elle la dénoue. Elle est le ciment qui retient ensemble les fragmens de l’œuvre parfois prête à se