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recueilli nombre de récits, de comédies de marionnettes, de pièces populaires, de romances, de chansons qu’elle a inspirées. Ce sont presque toujours des œuvres inférieures, confuses, que viennent encore brouiller des élémens étrangers : ici, par exemple, Faust se double d’un compagnon inattendu, emprunté au répertoire de la comédie italienne. Crespin, « famulus congédié des étudians » ; ailleurs, Charon, Pluton et les Furies viennent se mêler au drame ; ou c’est Hans Wurst, le bouffon traditionnel du théâtre populaire allemand, qui brode ses balourdises sur la trame tragique. De-ci de-là, entre les mains maladroites des arrangeurs, le drame bondit, comme enlevé par sa force intime, de belles scènes s’esquissent sans que l’auteur y semble pour rien, de grandes pensées inattendues se mêlent aux bouffonneries triviales, aux effets communs. Du reste, de quelque façon qu’on accommodât Faust et son histoire, le public allemand y prenait un vif plaisir. C’est que ce personnage était, en son genre, un héros national. Parmi les traits divers, inégaux, complexes, que lui prêtaient les montreurs de marionnettes, il y en avait où l’âme allemande se reconnaissait, qui frappaient le spectateur comme autant de reflets rapides où miroitait le mystère de leur être intime. Il était à peu près pour eux ce qu’Odysseus fut en son temps pour le rusé et subtil peuple des Hellènes, ce que fut don Juan pour l’Espagne amoureuse, violente et romanesque : un type populaire où la foule se retrouvait. Aussi le premier dramaturge que hanta le désir de mettre à la scène des sujets allemands, Lessing, fut-il frappé de sa « qualité nationale », et entreprit-il de l’introduire sur les théâtres officiels : sa pièce, qui devait être représentée à Berlin dès 1758, ne fut point achevée à ce moment-là ; reprise dix ans plus tard, en vue de la scène de Hambourg, elle ne devait jamais voir le jour : soit qu’elle n’ait point été terminée, ou que son auteur, mécontent, l’ait détruite, ou que l’unique manuscrit s’en trouvât dans une malle qui se perdit un jour en voyageant de Dresde à Leipzig. Il ne nous en est resté qu’un fragment, qui comprend le scénario sommaire du prologue et des quatre premières scènes du premier acte, ainsi que le texte d’une courte scène qui devait être la troisième du second acte. Ce fragment est trop incomplet pour nous donner une idée de la pièce. Nous pouvons croire cependant que l’esprit philosophique de Lessing avait admirablement saisi le véritable, sens du sujet. En tout cas, ce sens se trouve indiqué avec précision dans le prologue, qui