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égards supérieur, s’est laissé entraîner ; elles reposent sur cette idée profondément chrétienne, que ce n’est guère qu’en compromettant le salut de son âme que l’homme peut s’élever au-dessus de sa condition d’homme. Je ne sache pas qu’on ait jamais pensé à les rattacher à la grande scène de la Tentation du Christ, que racontent les Evangiles. Il me semble cependant que ce morceau fameux de la littérature sacrée peut seul nous éclairer sur leur véritable sens. Là où Jésus a résisté aux offres séduisantes du diable, des esprits que leur grandeur même expose à de graves périls se laissent corrompre : la possession du monde, de ses pompes, de son empire ou de ses secrets, — parfois moins que cela, celle d’un trésor ou celle d’une femme, — leur paraît pendant un instant décisif le plus grand bien qu’ils puissent souhaiter ; et l’éternel Ennemi, dont les mirages ont ébloui leurs yeux mortels, recueille le prix de leur faiblesse. Dans celles de ces légendes qui sont « catholiques », — la remarque est de M. Faligan, — cet égarement d’un instant, cette capitulation de l’âme n’entraîne point la perte irrémédiable du coupable : la Vierge, la douce médiatrice compatissante aux faiblesses des hommes, lui (apporte son secours bienveillant, et le diable, frustré de sa proie par cette intervention, est dupé ; dans celles qui sont « schismatiques », la peine est irréductible, la faute commise entraîne l’éternelle damnation.

C’est à ce groupe qu’appartient la légende de Faust.

Elle s’est formée en Allemagne, au moment de la Réforme, autour d’un personnage historique qui vécut pendant la première moitié du XVIe siècle. Son existence est affirmée par plusieurs témoignages contemporains, ceux entre autres de Jean Tritheim et de Mutianus Rufus, auxquels on peut ajouter de nombreux fragmens de chroniques et beaucoup d’anecdotes consignées dans les ouvrages du temps. C’était un vulgaire charlatan, qui s’en allait de ville en ville en exploitant la crédulité, la sottise, la badauderie et la jobarderie. Glorieux et vantard, il promettait volontiers d’accomplir toutes sortes de miracles : de fait, il savait quelques tours ingénieux, dont les braves gens s’ébahissaient. Ces tours n’étaient pas toujours innocens, car le « sorcier » était doublé d’un escroc, ivrogne en plus, et chargé de quelques autres vices. Bon lettré cependant, il professa dans divers lieux (entre autres à Kreuznach) d’où le chassaient bientôt les inquiétudes de son esprit, ses fredaines, ou les hardiesses de son langage : car il parlait sans aucune révérence des prêtres, des moines, de la religion. Accueilli un