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guissait son regard, pour paraître plus séduisant, Joyeux, dans toute la confiance et la force de sa jeunesse, il ne rêvait, comme l’avait dit son père, que « plaies et bosses ».

Toutes les pensées se portaient vers le 1er et le 5e corps, que Mac-Mahon avait reçu l’ordre de concentrer à Nancy ; pourraient-ils rallier à temps l’armée de Metz ? Si l’ennemi les gagnait de vitesse, les devançant à Toul et à Nancy, Mac-Mahon et de Failly seraient contraints de prononcer leur retraite dans une tout autre direction. L’angoisse serrait les cœurs. La supériorité de nombre des Allemands apparaissait redoutable, leur artillerie l’emportait sur la nôtre. Il ne fallait plus se faire d’illusions ; l’heure était grave.

Dans l’entourage du souverain, ce fut, pendant les derniers instans, l’agonie de ce pouvoir suprême exercé d’une main si tâtonnante, et l’on vit se succéder comme les rêves haletans d’un malade avant son réveil. Lucide, mais paralysé par les événemens, épuisé d’insomnies, hanté par la crainte de cette rivière à dos, de cette Moselle que dès le premier jour il avait voulu franchir en se repliant, le souverain examinait, l’un après l’autre, des projets auxquels il ne pouvait se résoudre.

Enfin il arrêta que l’armée, laissant une division à Metz, serait aussitôt dirigée sur le camp de Châlons. Mais il fallait dérober à l’ennemi l’opération projetée, gagner sur lui l’avance d’une ou deux journées de marche. Les deux ponts fixes de Metz offraient un débouché insuffisant. Les commandans du génie de l’armée et de la place reçurent ordre d’en créer de nouveaux.

Mais, tandis que la décision du souverain s’exécutait, on lui arrachait le pouvoir. Le Corps législatif réclamait, au nom du salut public, que le commandement militaire fût changé. Il y avait urgence : le spectre rouge de la Révolution se dressait, la Régente sentait se soulever sous ses pieds les pavés de Paris. L’Empereur dut céder, remettre au maréchal Bazaine la direction de l’armée. Bazaine fit d’abord mine de résister, se laissa convaincre. Lebœuf donnait sa démission de major général, acceptée cette fois ; Lebrun cessait ses fonctions. Quant au général Jarras, seul au courant du service, il se résignait, après une assez vive défense, à devenir chef d’état-major général. Le maréchal Bazaine, disait-on, eût préféré un lieutenant de son choix. Il accepta le général Jarras sans récriminer. Mais Laune, qui reçut les confi-