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LE DÉSASTRE.

pliaient le maréchal de donner sa double démission de ministre de la guerre et de major-général. Il cédait avec une dignité ulcérée aux instances personnelles de la souveraine. Mais l’Empereur ne voulut accepter que sa démission de ministre. Bazaine à nouveau reçut une extension de pouvoirs. Un décret impérial lui conféra le commandement définitif des 2e, 3e et 4e corps. Le général Manèque lui était assigné comme chef d’état-major général. Le général Decaen remplaçait le maréchal à la tête du 3e corps. Mais Bazaine demeurait en sous-ordre, et les opérations, manquant toujours de l’impulsion nécessaire, allaient tourner encore dans le même cercle d’incertitudes et de fautes. L’Empereur, accompagné de Changarnier, se rendit auprès du maréchal à Faulquemont, désapprouva son projet : une concentration sur Nancy et Frouard, en vue de rallier le 1er et le 5e corps… On attendrait l’ennemi sous les murs de Metz. Le 6e corps y était définitivement appelé, ainsi que la division de cavalerie d’Afrique. L’armée, au lieu de garder les positions assignées de Mercy-le-Haut (rive gauche de la Nied française), se replierait jusqu’à la Seille, sous le canon des forts. Cependant les trois armées allemandes s’avançaient, masquées par un épais rideau de cavalerie. À Paris, les Chambres ayant été convoquées, le ministère tombait. Les journaux de tous les partis, dans toutes les provinces, appelaient la France aux armes, réclamaient la levée en masse. La patrie était en danger.

Lugubre, à Metz, sous la pluie, dans le vent, l’immigration des paysans. Ils croyaient voir apparaître partout les lances des uhlans, et fuyant leurs villages, ils arrivaient avec ce qu’ils possédaient de plus précieux. C’était aux portes un encombrement, dans les rues un défilé de pauvres charrettes et de baquets chargés de meubles, d’effets, de matelas, sur lesquels s’étalaient des vieillards, des femmes, des petits enfans insoucieux qui dormaient ou jouaient. Derrière des charrettes meuglait, attachée, une vache laitière : des troupeaux de moutons bêlaient, mordus aux jambes par des chiens fauves ; et le flot grossissait toujours, jonchant les pavés de brins de paille et de fumier. Les meubles montraient leur nudité lamentable. Des armoires, laissant échapper des hardes par leurs battans mal fermés, semblaient déjà mises au pillage. Des paillasses et des édredons rouges avaient au grand jour quelque chose de triste, dans leur intimité violée. Les poêlons et les casseroles, si humbles avec leurs fonds carbonisés,