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LE DÉSASTRE.

— Allons, fit Bersheim, il va falloir caser ces braves gens…

Du Breuil voulut se retirer :

— Mais non, je vous en prie, entrez un moment. Anine, retiens-le donc !

Elle leva sur lui ses beaux yeux, elle avait un sourire d’une gravité anxieuse qui l’émut. Il murmura :

— J’ai seulement voulu vous apporter ma sympathie bien dévouée.

Elle pencha la tête ; un reflet de lumière courut sur ses épais cheveux blonds, tordus en une grosse natte.

— Grand’mère sera heureuse de vous voir, dit-elle en relevant le front.

Il la suivit. Dans le salon, Mme  Le Martrois palpait le veston de Gustave, alarmée :

— Il faut mettre un tricot de laine, mon enfant.

La grand’mère Sophia, assise droite, les mains jointes sur ses genoux réunis, semblait figée dans une pose d’immobilité douloureuse, vaillante pourtant. Les ruches de son bonnet s’agitèrent, quand elle reconnut Du Breuil, qu’elle aimait bien. Il eut plaisir à serrer les vieilles mains froides, comme usées. Après quelques phrases banales, il y eut un silence pénible. La vieille servante. Lisbeth, entra sans bruit, et vint parler à l’oreille de grand’mère Sophia, qui tira de sa poche un trousseau de clefs et sortit, esclave de l’habitude, derrière Lisbeth. Mme  Le Martrois, cependant, examinait d’un air rechigné l’uniforme de Du Breuil, ramenait ses yeux vers Gustave, vraiment peu brillant avec son veston civil, son pantalon de toile grise, sa petite casquette qu’il roulait entre ses doigts :

— Jamais il ne pourra supporter les fatigues militaires, soupira-t-elle.

Du Breuil prenait congé, la jeune fille lui tendit la main. Il éprouva une émotion confuse. Des vœux d’espoir lui vinrent aux lèvres ; il jugea le silence plus délicat, aussi expressif. Anine ne pourrait s’y méprendre… Dans la cour, Bersheim, qui surveillait le déchargement et venait même, avec sa rondeur bonhomme, d’aider à descendre le berceau, lui prit les mains et le regarda, avec de bons yeux navrés. Sa bouche s’ouvrit, mais il ne put prononcer un mot. Son angoisse émut Du Breuil.

— Voyons, du courage ! pas de nouvelles, bonnes nouvelles. Un peu de patience, on ne sait rien encore.