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LE DÉSASTRE.

images. Et d’Avol les commentait, plein de verve et d’invention comique ! Il revit les deux frères : André robuste, Maurice pâlot ; l’un bruyant, indiscipliné, l’autre taciturne, un peu en dessous…

La grande horloge sonna, comme on passait au salon. Elle avait un timbre grave, profond, solennel, qui faisait rire d’Avol, dans le temps, lorsque inflexible elle martelait l’heure de la rentrée à l’école. On jurerait, affirmait-il, la voix du professeur d’art militaire et de géodésie. Ce bon Jacques ! Il manquait vraiment, ce soir. M. Bersheim, avant de se mettre à table, en avait fait la remarque. Arrivé la surveille, il bivouaquait au Polygone ; mais son service l’avait retenu. À peine si Bersheim avait pu lui serrer la main. Par exemple, sa visite au camp de la Garde l’avait enthousiasmé :

— Quels soldats ! fit-il. Et Bourbaki, quel chef ! Allons, allons ! j’ai bon espoir. Comment, mon ami, vous partez déjà ?

Du Breuil s’excusait : un travail fou. Le général Boisjol fit une sèche inclination de tête. Il rendait l’état-major tout entier responsable de la lenteur et du désordre des mouvemens. La porte refermée, il s’en expliquait avec amertume.

Du Breuil traversa la cour, franchit le porche aux colonnes cannelées. Elles étaient toujours surmontées de boulets de pierre verdis. Il se crut revenu à quinze ans en arrière, à peine une ombre de moustache, sous-lieutenant élève… Plus de grand Quartier général, de travail, ni de guerre ! et comme s’il allait rentrer à l’École d’application, il prit par la rue aux Ours. Singulière sensation de se retrouver ainsi, le même presque, à son point de départ. Il lui semblait reconnaître chaque pignon, chaque angle noir. Jusqu’aux pavés de quartz inégaux qui, sous sa botte, ressuscitaient un contact familier. Metz s’évoqua, malgré la ruelle obscure, avec son antique grâce de cité provinciale, ses édifices badigeonnés à l’ocre jaune, ses auvens de maisons en torchis, ses ponts, ses places, ses quinconces, et, dominant la houle des toits, comme un berger ses ouailles, la haute masse de la cathédrale. Morcelée par les eaux vives de la Seille et de la Moselle, pleine de casernes, de magasins, d’arsenaux, d’écoles, il la revoyait toute, la vieille ville militaire, à l’étroit dans sa ceinture de fortifications et de fossés herbeux. En était-elle assez fière, Metz la Pucelle, de ce corset aux dentelles de pierre ! Elle défiait toute attaque, ne prenait jour sur la campagne