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intérêts nationaux ni pour ceux de nos amis, — à peu près comme si j’avais été le quatrième plénipotentiaire russe. Pendant toute la durée des délibérations, il n’y a pas eu un seul désir de la Russie que je n’aie appuyé et fait aboutir. Par suite de la confiance que m’accordait lord Beaconsfield, pendant les momens critiques et si difficiles du Congrès, je suis allé au milieu de la nuit, près de son lit, et là, au moment où l’assemblée allait se séparer, j’ai obtenu son assentiment. En un mot, je me suis comporté de telle manière au Congrès qu’après sa clôture je me disais : — Si je ne possédais pas déjà depuis longtemps le plus élevé des ordres russes en brillans, je devrais à coup sûr le recevoir maintenant. — J’avais la conscience d’avoir rendu à la Russie des services comme il est rarement donné à un ministre étranger de pouvoir le faire. Aussi quelles ne furent pas ma surprise et ma déception lorsqu’on inaugura à Saint-Pétersbourg une espèce de polémique de presse ! On se mit à attaquer la politique allemande et à jeter le soupçon sur mes intentions personnelles. » Bref, M. de Bismarck ne tarda pas à s’apercevoir que les services rendus par lui et si généreusement à la Russie avaient été mal appréciés par elle, et en politique réaliste qu’il était, prompt à pressentir les conséquences des choses qui commencent et à s’y accommoder, il explique comment, ne pouvant plus compter sur la Russie, il s’est tourné tout de suite du côté de l’Autriche et de l’Italie. Cette histoire était bien connue de l’empereur Alexandre III, et la confiance qu’il pouvait avoir en M. de Bismarck, à supposer qu’elle ait jamais été bien grande, en avait été certainement diminuée. Les révélations récentes faites par l’ermite de Friedrichsruhe permettent de croire qu’elle n’a pourtant pas été complètement éteinte. Par un véritable chef-d’œuvre d’adresse, M. de Bismarck a trouvé encore le moyen, en même temps qu’il faisait alliance avec l’Autriche, de contracter avec la Russie ce qu’on a appelé depuis une contre-assurance. Les liens n’avaient donc pas été totalement rompus entre Berlin et Saint-Pétersbourg. Cette situation s’est prolongée jusqu’à l’avènement de l’empereur Guillaume II. Alors, sans qu’on puisse très bien s’expliquer pourquoi, la contre-assurance, qui était arrivée à son terme, n’a pas été renouvelée. M. de Bismarck en a fait contre ses successeurs un grief qui, dans sa pensée, semblait devoir remonter encore plus haut. Quoi qu’il en soit, l’empereur Alexandre, après avoir constaté ce qu’il y avait eu de peu bienveillant à l’égard de la Russie dans la politique allemande, a pu reconnaître en sus ce qu’elle présentait désormais de mobile et de variable ; et il semble que les souvenirs du passé, joints à l’expérience du présent, aient fortement agi sur son esprit pour