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manœuvrer et de défiler devant lui, a fait une allusion directe à cette même confraternité d’armes que Nicolas avait proclamée le premier. La réponse ne s’est pas fait attendre. Elle a été d’une simplicité toute militaire. « Je lève mon verre, a dit l’empereur, en l’honneur de nos camarades de l’armée française, que je m’estime heureux d’avoir pu admirer à Châlons et dont je me félicite de voir ici les dignes représentai. » On ne traite pas de « camarades » les soldats d’une armée étrangère, si on n’a pas de bonnes raisons pour cela. Ce mot était la confirmation de celui de Châlons. Il suffisait à déterminer le caractère politique de la grande manifestation qui venait d’avoir lieu.

Toutefois, si on s’en était tenu là, il aurait fallu seulement dire que rien n’avait changé, que rien n’avait bougé depuis dix mois ; mais peut-être l’imagination populaire, qui attendait autre chose encore, aurait-elle éprouvé une certaine déception. Si l’alliance existait, pourquoi ne pas le déclarer ? Est-ce que l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie prennent tant de précautions pour parler de celle qui les unit ? Sans doute on n’en connaît pas exactement les conditions ; on se contente de s’en douter. Mais quant à l’alliance elle-même, les trois souverains qui l’ont contractée, ainsi que leurs ministres, en parlent couramment. Ils cherchent même assez souvent l’occasion de la proclamer à tout propos devant l’Europe, en vue de la paix, disent-ils, et comme une de ces vérités qu’il est bon de répéter pour les rendre toujours présentes aux esprits. Pourquoi, à l’affirmation renouvelée de la triple alliance, ne répondrait-on jamais par celle de la double alliance ? On se le demandait. Le silence des deux gouvernemens de Saint-Pétersbourg et de Paris finissait par étonner, à la manière de toutes les choses qu’on a de la peine à expliquer. L’opposition radicale et socialiste en profitait pour essayer de faire naître ou d’entretenir quelque incrédulité. Il en était de même d’un certain nombre de journaux étrangers, qui, tout en reconnaissant que des relations nouvelles et plus étroites s’étaient formées entre la Russie et la France, affectaient de dire qu’elles n’avaient pas pu aller jusqu’à la conclusion d’un traité. Quelques-uns d’entre eux revenaient volontiers sur ce qu’ils appelaient la crédulité de la France, et ils nous plaignaient en toute sincérité d’une bonne foi qui n’allait pas de notre part sans duperie. Ils savaient bien ce qu’ils faisaient. A la longue, l’expression des mêmes doutes pouvait agir sur l’opinion, l’émouvoir, la troubler. Déjà on se posait autour de nous des questions qui restaient sans réponse. Qu’avions-nous reçu en échange de notre amitié ? Les deux gouvernemens s’étaient-ils contentés de l’expression réciproque d’une vive