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on allait se servir auraient plus ou moins de poids que celles dont on s’était servi l’année dernière. Dire moins aurait été dangereux. Peut-être y avait-il là quelque difficulté à vaincre, et il semble que l’empereur d’Allemagne, soit qu’il l’ait fait de propos délibéré, soit qu’il ait cédé naturellement à ses tendances oratoires, l’ait encore augmentée par l’éclat de son toast récent à Nicolas II. Celui-ci avait été correct et cordial ; il avait parlé avec bonne grâce des traditions qui existent entre les deux pays et les deux familles impériales ; mais rien n’égale en exubérance la réponse de Guillaume II. Aucune assurance, aucun serment ne lui ont paru assez solennels pour exprimer son dévouement à la Russie et à son Empereur ; jamais sa parole n’avait été plus vibrante ; jamais elle ne s’était colorée de reflets plus romantiques. Il semblait que l’amitié des deux empereurs, — à la vérité il n’y en avait qu’un qui parlât, — eût déjà traversé une longue suite d’années, de siècles même et qu’elle fût destinée à en traverser une plus longue encore. Enfin Guillaume a eu des accens presque tragiques lorsqu’il a protesté de sa ferme intention de maintenir la paix, et qu’il a mis toute la puissance militaire de l’Allemagne à la disposition de son ami pour l’accomplissement de cette œuvre d’humanité. L’empereur Nicolas n’avait ni à accepter ni à refuser l’offre qui lui était faite avec un accent passionné ; mais peut-être s’est-il demandé s’il en avait vraiment besoin. Il avait déjà pris d’autres mesures pour assurer à sa manière le respect de la paix.

Les toasts de Péterhof et de Krasnoïé-Sélo, si impatiemment attendus, ont été un écho exact et fidèle, ni affaibli, ni accentué, de ceux de Paris et de Châlons. Ce dernier surtout était resté dans les mémoires. A la suite de la revue de Châlons, après cet étalage de puissance guerrière qui, de l’aveu de tous les spectateurs, avait été si imposant, l’empereur Nicolas avait prononcé des paroles mémorables. Il avait parlé de la « confraternité d’armes » qui existe entre les deux armées. Le mot avait retenti au cœur du dernier de nos soldats et aussi, nous n’en doutons pas, de tous ceux de l’armée russe. On ne pouvait pas dire plus clairement que le rapprochement entre la France et la Russie n’avait pas un caractère platonique, et qu’il se manifesterait, si cela était nécessaire, autrement que par des échanges de politesses, de fêtes et de discours. Mais ce mot avait-il été provoqué, à la fin d’une belle journée, par l’enthousiasme d’un moment, ou était-il l’expression d’une pensée réfléchie et calculée ? Il importait de le savoir, et c’est pour cela sans doute que M. le président de la République, après avoir contemplé à son tour l’armée russe qui venait de