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autre vision. Ce sont des horizons larges, la mer, les grands lacs prolongeant leurs reflets entre les lignes noires des sapins, les landes où la roche s’étale en plateaux fleuris de bruyères ; et des coins de poésie champêtre et tranquille dans les vallées creuses des fjords, où les bouleaux verdoient entre les pierres grises. Partout l’eau pénètre, se précipite des hauteurs, se glisse entre les collines et anime de sa vie souple et chantante le silence des forêts ; le long des côtes, des milliers d’îlots émergent d’entre les remous blanchissans et semblent de fantastiques flottilles prêtes à s’en aller quelque jour à la dérive. En de tels décors, la civilisation se fait moins brutale et demeure proche de la nature. On aperçoit sans surprise, au milieu d’un archipel rocheux, la cabane d’un pêcheur ou d’un gardien de feu hardiment juchée sur pilotis au milieu des flots : sur les pentes des coteaux, les maisons forestières au badigeon rouge, s’enlèvent sans discordance sur les fonds sombres des sous-bois : et Stockholm, industrielle et très moderne capitale, n’interrompt point le rêve, avec ses palais dominant la mer et les lacs, ses bosquets penchés sur les eaux tourbillonnantes, et l’éternelle fantasmagorie de sa lumière changeante.

C’est la plus rare beauté des paysages septentrionaux que cette clarté perpétuelle, aux nuances infiniment délicates, qui vient baigner les objets dans une transparence douce, sans déformer les lignes, sans fausser les reliefs, sans durcir les ombres ; lumière chaude des jours d’été, qui s’épanouit en l’apothéose lente des couchers du soleil, avant de s’adoucir en un crépuscule violet flottant sur la nuit, lumière des jours d’hiver, scintillante, pailletante, sous laquelle les glaces luisent et les givres s’argentent dans une symphonie de blancheurs… Par un après-midi d’automne, je me trouvais avec Carl Larsson sur un rocher de Marstrand, l’une des îles de la côte suédoise : à nos pieds s’enfonçait un étroit vallon, verdoyant encore, abritant un ruisseau d’une voûte feuillue ; au-delà, la roche apparaissait, nue, marbrée de reflets rougeoyans et s’abaissait jusqu’aux premières vagues ; après un large bras de mer, une autre île aux bords dentelés derrière laquelle on revoyait l’eau bleue ; de tous côtés, la même alternance de flaques brillantes et de taches sombres ; çà et là, un toit, une fumée, arrêtaient le regard ; un voilier, engagé dans un chenal et à demi invisible, découpait une silhouette grêle au-dessus d’un mamelon ; sur le continent, des neiges