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l’esprit de sa race ; il affirma du moins qu’il fallait être Suédois en peignant la Suède : là est la partie capitale de son œuvre.


IV

Telles sont, brièvement résumées, les fortunes diverses que traverse l’histoire de l’art en Suède jusque vers 1860 : après des siècles d’isolement, où l’ignorance générale paralyse le goût instinctif des premiers ornemanistes, peintres et sculpteurs se forment sous la maîtrise envahissante de l’Allemagne et de la France ; disciples enthousiastes, ils s’en vont à la recherche d’enseignemens variés, moins docilement soumis à mesure qu’ils se sentent plus forts. Et deux d’entre eux ont posé le principe d’une forme d’art qui doit être propre à leur race et à leur pays : premières manifestations d’indépendance, premiers élans vers la liberté d’inspiration d’abord timidement accueillis. On veut bien travailler en Suède, et l’on consent à traiter des sujets nationaux : mais le respect de la tradition subsiste, avec la routine du procédé. Fogelberg, consciencieux, drape à l’antique le manteau de son Odin, et Hockert, en bon romantique, empâte de surprenans bitumes les clairs décors de ses scènes lapones. L’indécision entrave tout effort d’ensemble : la Suède, se défiant d’elle-même, semble attendre quelque mot d’ordre venu de l’étranger.

Et voici qu’en France tout un mouvement s’agite autour de quelques novateurs qui, proclamant l’avènement d’un art nouveau, remplacent les formules usées et les théories vieillies par deux lois suprêmes : vérité d’observation, vérité d’expression. Une dernière fois les Scandinaves suivent l’impulsion qui leur vient du dehors et qui maintenant les ramène vers eux-mêmes les réalistes leur disent : « Regardez autour de vous » ; les impressionnistes vont leur dire : « Regardez en vous. » Et, favorisés entre tous, les artistes suédois aperçoivent un domaine d’une infinie richesse librement offert à leurs études, tandis que les influences de race s’unissent à l’action du milieu pour aider à l’épanouissement de leur activité nouvelle. Ils sont en face d’un pays privilégié, semblable à quelque musée du monde, où tous les genres de pittoresque sont rassemblés en une inimitable harmonie ; charme singulier des paysages de Suède, devant lesquels nul souvenir ne peut être évoqué et qui laissent dans l’esprit une image définitivement localisée, qu’on ne peut superposer à une