Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 143.djvu/172

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du problème social, du problème économique. Toutefois, on doit le confesser, comme il allait, dans l’histoire, chercher des leçons pour le temps présent, ce qu’il va chercher en tous lieux chez les philosophes, les moralistes, les « sociologues » et les économistes, c’est un remède aux maux de l’Espagne, de son Espagne. Et lui-même, philosophe, moraliste, sociologue ou économiste, comme lorsqu’il était historien, il est et demeure homme d’Etat. Il l’est, soit qu’il prononce devant un congrès de géographes l’éloge de Sébastien del Cano, ou devant des gens de lettres l’éloge de Revilla et de Moreno Nieto, soit qu’analysant un ouvrage sur les orateurs grecs et latins, et, pensant à ce que put la parole dans l’Athènes et la Rome antiques, il pense, non sans effroi, à ce qu’elle peut dans l’Espagne troublée de 1874.

Cette puissance de la parole publique, moins que qui que ce soit M. Canovas pouvait la nier ou la rabaisser, lui ayant dû autant et plus que qui que ce soit. Historien et philosophe, ainsi qu’il fut, avant tout, homme d’Etat, il fut, avant tout, orateur ; sa forme écrite est une forme oratoire ; sa période longue, mais fortement articulée et emportée d’un mouvement rapide, est la période d’un orateur. Quand on ne l’a pas entendu, on ne sait pas ce qu’est le don de « dominer, comme il l’a dit, dans le silence ». Et il adresse tout un hymne au silence, « effet suprême et incomparable satisfaction, la plus grande que goûte l’orateur… Le silence, communication intime, magnétique, de l’intelligence, de celui qui écoute avec celui qui parle ; le silence, qu’imposent premièrement la voix et le geste, et ensuite la phrase, le sentiment, l’idée ; le silence qui humblement soumet mille voix différentes à une voix, sans plus, et à une seule intelligence mille intelligences en désaccord ; le silence, enfin, dans lequel, les uns étouffant leur enthousiasme, les autres leur colère, et tous subjugués, rendent un tribut unanime, et le plus rare des tributs, à la vraie et virile éloquence. »

C’est dans ce silence flatteur qu’il parlait et qu’il « dominait ». D’autres, à côté de lui, émouvaient, transportaient, se faisaient acclamer, et même, comme Castelar, enlever en triomphe. Lui, — il faut répéter les verbes mêmes qu’il emploie, — il soumettait, subjuguait, imposait le silence solennel et sacré, où l’on dirait que l’esprit souffle. J’ai assisté à plusieurs des combats que M. Canovas, en 1894, avant de revenir aux affaires, livra à M. Sagasta. Je ne sais pourquoi ce spectacle parlementaire évoquait