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Les années qui suivent s’écoulent en discussions contre les fautes de Narvaez et de Gonzalez Bravo, jusqu’à ce qu’éclate la révolution de 1868. Elle surprit M. Canovas del Castillo, si toutefois elle le surprit, dans les archives de Simancas, où il se délassait, se consolait et se retrempait par l’histoire. Cette date, comme il l’a dit, « ouvrait une parenthèse dans sa carrière. » Comme il l’a dit, il « touchait à l’âge de la pure raison », il allait avoir quarante ans, et il était tout plein de pensées qui avaient mûri. La parenthèse ouverte se refermera ; mais cependant, dans la méditation et la retraite, c’est l’œuvre de la vie qui s’ébauche.

M. Canovas, de loin et sans s’y mêler, suit les événemens. Avec cette clairvoyance qui est un des dons de l’homme d’Etat, il observe et voit venir, du fond de l’inconnu, l’inévitable. Il voit débarquer à Carthagène le roi élu, Amédée de Savoie, et, trop monarchiste pour lui créer des embarras, il est trop avisé pour répondre aux avances qu’on se hâte de lui faire : il connaît trop son pays pour ne pas deviner que cette dynastie étrangère ne peut prendre en terre espagnole ; il attend. Le duc d’Aoste retourne en Italie, la république est proclamée. M. Canovas attend et ne s’étonne pas : il voit venir, il voit passer Pi y Margall, Salmeron, Castelar, Pavia, fleur d’un jour — flor de un dia, — Serrano, et, derrière eux, s’approcher cet inévitable, auquel il s’est patiemment préparé. Martinez Campos en avance l’heure à Sagonte ; mais le manifeste de Sandhurst est tout prêt (chaque période de sa vie publique a pour prologue un manifeste). M. Canovas est, par lettre royale, investi de la régence, et les pensées mûries dans la solitude des archives de Simancas se concentrent et s’expriment en ces paroles, elles-mêmes historiques : « Je viens continuer l’histoire d’Espagne. »

Au-delà, en effet, l’histoire d’Espagne continuait. La Restauration en finissait à l’intérieur avec les carlistes, à l’extérieur, avec les insurgés cubains. Mais ce n’était pas tout, c’était peu d’avoir ressuscité la monarchie : il fallait la rendre vraiment nationale et constitutionnelle, la doter des organes indispensables à un gouvernement de ce siècle, instruire et guider un jeune prince grandi dans l’exil, improviser un personnel, corriger les mœurs politiques ; former, réformer, transformer ; faire des partis en armes, des partis de parlement et de tribune, les attirer dans la légalité, discipliner le sien et aider à l’éducation des autres ; après s’être créé une majorité, créer à cette majorité une opposition, et