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de Bismarck dans le conflit des Carolines et contre les États-Unis dans les insurrections de Cuba, en plusieurs autres occasions encore, il fut vraiment le Consul qui ne désespère pas de la république. Si graves que fussent les difficultés, elles le trouvaient impassible ; et plus il s’y heurtait, plus il rebondissait, pour ainsi dire, et s’élevait. Quelque force ennemie qu’il rencontrât en face de lui, il se sentait autant de force, qui n’était pas seulement sa force à lui, mais la force, ramassée et vivante en lui, de l’Espagne qui avait été, qui était, et, il le voulait de toute sa puissance de vouloir, qui serait.

« Il en est de la patrie, disait-il, comme de notre père et de notre mère : on est pour elle, avec raison et sans raison. » Il savait bien qu’elle n’était plus la triomphante, la conquérante, l’impériale Espagne des temps passés ; mais, confiant en des jours plus justes, il avait sa façon de ne pas l’humilier, qui était de se réserver, de ne pas la conduire en des compagnies où l’insolence des parvenus ne l’eût admise que par faveur et au bas bout de la table. « Nous autres Espagnols, déclarait-il dès 1878, — on ne saurait trop citer cette phrase qui est typique et où la politique de M. Canovas se résume, — nous ne sommes pas assez forts pour nous imposer à la première place ; nous ne sommes point, nous ne pouvons pas être assez modestes pour occuper de bon gré la seconde. » Et l’an dernier, comme on le poussait indiscrètement à rechercher certaines alliances, il répondait : « Ce à quoi je ne consens pas, c’est à des sollicitations contraires à la dignité espagnole : ce que je ne fais pas, c’est d’aller de porte en porte chez les ambassadeurs demander aide et assistance, sitôt qu’une crise survient. »

Il n’allait pas de porte en porte quêter des alliances, parce qu’il n’y voulait pas mener avec lui l’Espagne de Charles-Quint et de Philippe II ; mais s’il était à ce point susceptible, et à ce point résigné, sur ce que l’Espagne ne pouvait pas faire, tout ce qu’elle pouvait faire, il n’en était que plus prompt et plus opiniâtre à l’exiger. Elle soutirait qu’il l’exigeât, car il y avait deux choses en M. Canovas dont l’envie elle-même, — l’envie qui, selon un de ses biographes, le suivait comme son ombre, — ne s’est jamais permis de douter : ce patriotisme d’abord, tout à la fois ardent et raisonné, instinctif et tiré de l’étude profonde de l’histoire, physiologique, autant qu’un sentiment peut l’être, et hautement intellectuel ; ensuite l’inattaquable probité, l’absolu désintéressement,