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l’autorité de l’État, du pouvoir gouvernant dont il était le dépositaire, qui en lui ne devait pas mollir et vis-à-vis duquel il ne devait pas laisser prendre de tentantes familiarités. Son seul aspect retenait, imposait, du reste, empêchait de devenir familier ; il donnait sans effort l’impression de la grandeur, et sans raideur, en n’abaissant pas les sommets, il excellait à marquer et à conserver les distances.

On a dit de M. Canovas que du haut de son orgueil, de cette fameuse soberbia, il voyait les autres tout petits et les dédaignait : mais il était trop politique pour ne pas les voir à leur taille et, obligé de se servir d’eux, pour dédaigner des gens dont il ne pouvait se passer. Nul, lorsqu’il le voulait, — et il le voulait toutes les fois qu’il n’y avait pas d’inconvéniens à le vouloir, — n’eut l’accueil plus courtois, l’hospitalité plus aimable ; seulement il ne supportait pas d’être dérangé par des importuns au moment opportun : en cela sa « mauvaise humeur » elle-même était politique. Il essayait d’autant moins de la dissimuler, alors, que jamais il n’a couru, à travers les banales affabilités de la rue, après ce qu’on nomme la popularité et qu’il offrait l’exemple, si rare en nos jours, d’un homme d’Etat qui avait fondé et qui dirigeait une monarchie absolument moderne, constitutionnelle, parlementaire, quasi démocratique, actionnée par le suffrage universel, et qui, néanmoins, ne se souciait pas d’être populaire.

Mais un tel homme n’était pas de ceux qui se définissent par ce qu’ils ne sont pas ; ses qualités comme les défauts qu’on lui prêtait, ses talens et, — pourquoi craindre le mot ? — ses vertus se rendraient mal par des négations : tout en cet homme était positif et actif, et il était éminemment. Ouvrez les journaux qui le combattaient : ce n’est pas une complaisance d’oraison funèbre ni un subit attendrissement devant la tombe qui leur fait vanter son patriotisme, sa foi dans les destinées de son pays, la largeur et la sûreté de ses vues, la rapidité de ses résolutions, sa persévérance dans l’exécution, sa sérénité dans l’épreuve, son éclatante intégrité, la fierté de tête et de cœur pour laquelle ceux mêmes des Espagnols qui ne l’aimaient pas aimaient et admiraient en lui ce que, par l’intelligence et par le caractère, il avait d’espagnol et comme de romain.

En des circonstances diverses, quand il vint réparer les folies de dix ans de révolution, apaiser les discordes civiles, guérir tant de plaies de sang et d’argent, quand il tint bon contre l’Allemagne