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mais encore un véritable homme politique, souple et conciliant, a été chargé de l’intérim de la présidence du conseil. On est heureux de constater, parce que cette constatation est à leur honneur, que tous les chefs de partis, soit du parti libéral, soit des groupes dissidens du parti conservateur, se sont mis aussitôt à la disposition du gouvernement pour l’aider à traverser les difficultés du premier moment. Les divergences d’hier se reproduiront sans doute demain : elles disparaissent du moins aujourd’hui, et un même sentiment de solidarité nationale unit tous les hommes de cœur autour d’un cercueil ensanglanté. Et qui sait si cette union ne survivra pas, pendant quelque temps, à la circonstance qui l’a fait naître ? Le plus grand hommage qui pourrait être rendu à M. Canovas, et celui auquel il aurait sans doute accordé le plus de prix, serait que ses successeurs, quels qu’ils fussent, suivissent sa politique dans ses lignes essentielles. Au reste, ce sont là choses d’Espagne. Nous attendons, en ce qui nous concerne, la décision de la Reine régente avec confiance, car nous avons trouvé les mêmes sympathies chez tous les ministères espagnols, et tous les ministères espagnols nous rendront la justice qu’ils ont trouvé les mêmes sympathies chez nous. C’est notre manière de respecter la liberté de nos voisins, comme ils respectent la nôtre. Le cruel événement qui vient de s’accomplir ne saurait qu’augmenter la force de ces sentimens réciproques entre deux pays qui ont éprouvé des douleurs analogues, et auxquels la différence de leurs institutions politiques ne fait oublier ni leur communauté de sang, ni la concordance générale de leurs traditions et de leurs intérêts.


Quelque confuse que soit, à certains égards, la situation de l’Espagne, celle de l’Orient l’est encore davantage. C’est là, surtout, que la difficulté d’arriver à une solution se manifeste dans toute son intensité. On est toujours à la veille de s’entendre ; il n’y manque presque plus rien ; les journaux annoncent que la paix est sur le point d’être signée ; ils fixent même le jour où elle le sera ; le jour annoncé arrive et la paix n’est pas signée. C’est comme un mirage qui reporte plus loin son illusion à mesure qu’on avance.

Que s’est-il passé depuis un mois ? La principale difficulté alors, sinon la seule, paraissait être dans la fixation de la frontière entre la Grèce et la Turquie. Naturellement, la Turquie voulait garder de la Thessalie la plus grande partie possible, sachant d’ailleurs fort bien qu’elle ne pouvait pas espérer la conserver tout entière. L’Europe, au contraire, qui avait pris en main les intérêts de la Grèce, maintenait